Le Voleur de vent
cinquième galion explosa en série de
détonations qui ravagèrent son pont et couchèrent ses mâts.
Mais sur le millier d’hommes de valeur qui
avaient constitué les équipages de cette orgueilleuse Flotte du Nord, trois
cents au moins avaient survécu et, sous les ordres de leurs officiers, avec
cette discipline, dureté à la peine et bravoure qui est la marque d’un grand
peuple, ils s’organisaient déjà pour lancer la poursuite…
73
Les Espagnols gagnaient du terrain.
Ils avaient pour eux ces mois d’immobilisation
de leurs vaisseaux en les glaces, d’où leur venait l’habitude de marcher sur
celles-ci avec certaine sûreté.
Une trentaine d’entre eux, ayant chaussé
patins comme le fait population des Pays-Bas allant sur lacs et canaux gelés, s’étaient
même dangereusement approchés des traînards mais l’amiral de Nissac, reformant
in extremis la ligne d’arquebusiers, les avait découragés de se trop approcher
par un tir qui faucha plusieurs des Espagnols.
Les Français, qui manquaient totalement d’expérience
sur la glace, perdaient beaucoup de temps à tenter, souvent en vain, de ne
point tomber. En outre, ils devaient ramener les cadavres de sept des leurs, porter
deux blessés graves qui ne pouvaient plus marcher et attendre des blessés plus
légers qui cependant traînaient la jambe.
Voyant cela, Nissac ordonna qu’on abandonnât
tout le matériel qui ne pouvait point servir à la défense. On en fit donc un
tas et, afin qu’il ne tombât pas entre les mains des Espagnols, on y ajouta les
rares tonnelets de poudre qui n’avaient point servi, puis on provoqua l’explosion.
Cependant, lorsqu’ils arrivèrent au trou ainsi
formé en la glace par lequel on distinguait la mer, les Espagnols ne s’y
attardèrent pas, ayant compris l’action de Nissac car, en semblable situation, ils
auraient agi comme les Français.
Les troupes de Philippe III, qui allaient
en trois colonnes de cent hommes chacune, étaient menées, outre leurs officiers,
par l’amiral commandant la Flotte du Nord, et qui n’avait point été blessé ni
tué.
Et celui-ci, profitant de son rang, allait sur
cheval blanc ayant eu le temps, avec ses écuyers, de dresser l’animal durant l’hiver
de sorte qu’il ne s’effrayât point d’aller ainsi sur la glace devenue familière.
L’homme avait belle allure, le long panache
blanc de son casque au vent, l’épée à la main, monté sur cheval caracolant en l’attente
qu’on le lançât plus vivement. Ayant jugé de la moindre distance qui le
séparait à présent des Français en pleine retraite qu’il escomptait voir se
transformer en débâcle, il changea ses dispositions, faisant déployer ses
hommes sur deux lignes serrées allant chacune de front. Il ordonna l’arrêt et
les deux lignes de cent cinquante soldats chacune s’immobilisèrent tandis qu’on
déroulait bannières et drapeaux. Lorsque ceux-ci claquèrent au vent, les
soldats se mirent en marche, non sans majesté, au son des tambours.
La neige tombait de nouveau.
L’amiral de Nissac, qui se retournait de plus
en plus fréquemment, sentit qu’il n’aurait point le temps de regagner les
barques.
Il savait qu’en cette situation extrême il n’aurait
bientôt plus qu’un ordre à donner : former le carré.
Mais il ne se faisait point d’illusions car ce
carré, tout hérissé qu’il fût d’arquebuses, pistolets et flèches du seigneur
Yasatsuna serait débordé par les ailes, attaqué de tous côtés et finalement
enfoncé avant l’ultime corps à corps à l’arme blanche…
Sur la dunette du Dragon Vert dont il assurait le commandement durant l’absence de l’amiral
de Nissac, Charles Paray des Ormeaux s’inquiétait fort.
Il avait accueilli avec joie, comme l’équipage
qui poussa longue clameur, le bruit lointain et assourdi des explosions. Il
avait pareillement vu les cinq lueurs jaune orangé qui avaient successivement
illuminé ce paysage de glace mais depuis, il trouvait le temps long.
En outre, sa très mauvaise vue le desservait
pour distinguer quelque chose.
Aussi sursauta-t-il lorsque le lieutenant d’Orville
s’écria en grand émoi :
— Ils arrivent !…
Paray des Ormeaux plissa les paupières mais ne
vit à l’infini que glace et lueur lointaine des galions en flammes. Cependant, il
lui fallait répondre :
— En effet, ils sont bien proches.
Le lieutenant d’Orville lui jeta regard d’incompréhension :
— Proches ?…
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