Le Voleur de vent
grands choix de son amiral, et comment il engageait ce combat, mais
il ressentait certaine tristesse à ne le comprendre qu’au fur et à mesure, n’ayant
point deviné la manœuvre.
La comtesse de Nissac, quant à elle, ne jetait
que brefs regards aux vaisseaux ennemis, toute captivée par l’homme qu’elle
aimait. Elle s’étonnait qu’il fût si tendre, délicat et passionné en les choses
de l’amour, si froid, inflexible et rude à la guerre. Elle se trouvait en
grande difficulté dès lors qu’elle tentait de superposer les deux images. En
cet instant, où était-il, le comte de Nissac cette nuit encore penché sur elle
en souriant, embrassant sa poitrine, s’attardant sur son bas-ventre, la
caressant, murmurant choses belles et douces de sa voix grave ?
Sous son chapeau à plumes, les yeux gris et
froids étaient d’extrême mobilité, notant détails qu’on ne saura jamais, prévoyant,
spéculant, devançant à tout prix les choses. Le visage paraissait soudain de
grande dureté, mâchoires serrées, narines pincées, et toujours ce regard dur où
flottait un léger mépris : s’obligeait-il à mépriser son adversaire pour
dès lors le mieux vaincre ?… Allait-il jusque-là en le traitement qu’il s’infligeait
à lui-même ? Il parlait peu, ordres brefs, dits sèchement, qu’on
répercutait aussitôt.
Elle le trouva sans pitié. Ayant repéré dès
avant tout le monde cette colonne de cinq galions assez faibles en leur
aptitude au combat, il ordonna à ses canonniers de les prendre aussitôt en tir
d’enfilade.
L’adversaire se trouvait terriblement
défavorisé par la position fixe de ses canons, quand le navire français les
atteignait avant même de les croiser.
Ordres de l’amiral furent exécutés à la lettre
et les cinq galions espagnols se trouvèrent simplement démâtés, Nissac ne s’attardant
point à les achever. Canonniers espagnols, pour leur part, considérablement
gênés en leur tir par le déluge de feu sortant des batteries du Dragon Vert, ne parvinrent qu’à endommager partiellement la voilure de celui-ci.
Et, alors que les capitaines des quatre
vaisseaux du groupe centre et des cinq de la file de gauche allaient ordonner
demi-tour pour lancer la poursuite, Le Dragon Vert, follement téméraire,
les prit de vitesse à la stupeur générale.
Loin de s’enfuir, ce fut lui qui opéra
demi-tour très sec. Une fois encore, tout avait été diaboliquement calculé car,
au lieu de se glisser entre les deux files espagnoles, s’exposant à un feu
croisé, Nissac avait choisi de se placer entre la colonne qui était au centre
et la mer, ayant ainsi un flanc libre de tout danger. Les navires de gauche, eux,
ne purent qu’infléchir leur route pour tenter, sans grand espoir, de rejoindre
le Français.
Chez les capitaines espagnols, hommes de
valeur, l’amertume dominait. Tous avaient le sentiment que le Français les
avait joués, morcelant leurs forces, ne se trouvant jamais noyé sous leur grand
nombre.
Cette fois encore, même cause produisit
semblable effet car, tirant au-delà de lui, Le Dragon Vert n’avait qu’à
remonter la file quand les malheureux canonniers espagnols, pour tirer, devaient
attendre que le Français se présentât devant leurs canons.
Les ordres de Nissac, pourtant, étaient
différents et, derrière leurs pièces, artilleurs du navire à fleurs de lys
concentraient leurs redoutables tirs sur les gouvernails, tuant les timoniers, arrachant
les gonds, brisant la barre de commande et « le crapaud » qui est
pièce de fer reliant la barre à la manuelle. L’un des quatre galions, sans
doute touché aux poudres, explosa quand les trois autres sans gouvernail se
dispersaient en toutes les directions, tels des aveugles.
Malgré l’affolement, quelques canonniers
espagnols firent feu, secouant Le Dragon Vert qui, ayant dépassé ses
victimes, s’enfuit en effectuant longue boucle pour virer. De ce fait, il passa
très au large de l’ancienne colonne de gauche dont les cinq beaux navires, intacts,
n’étaient point encore entrés en la bataille.
Sans hésiter, capitaines espagnols donnèrent
ordre d’entamer la poursuite car à cinq contre un, ils estimaient pouvoir encore
en finir avec Le Dragon Vert et pousser cri de victoire qui atteindrait
– qui sait ? – la côte, puis se répercuterait jusqu’à l’Escurial où Philippe III,
anxieux, attendait des nouvelles.
On avait aligné une
dizaine de cadavres sur le pont du
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