Le Voleur de vent
pour habitude de simplifier les choses.
Le second en demeura sans voix.
Sur le navire amiral
de la flotte espagnole, le commandant en chef regardait avec des sentiments
contradictoires Le Dragon Vert qui venait droit vers lui.
Il ne doutait pas un instant de l’envoyer par
le fond, savait qu’il en tirerait gloire et fortune et cependant, fort
curieusement, éprouvait quelque gêne à être celui qui mettrait un terme à cette
légende qu’il avait devant les yeux.
En effet, à présent qu’il voyait le magnifique
vaisseau français, ses voiles gonflées, ce dragon de proue en bois joliment
sculpté et peint en vert, il songea que l’histoire, souvent plus sévère que les
temps présents, se souviendrait peut-être de lui comme étant celui qui coula Le Dragon Vert, mais en s’y mettant à quinze contre un.
Il souhaita que la mise à mort du vaisseau de
la marine royale française s’accomplît en les plus brefs délais.
Isabelle de Nissac
vint rejoindre l’amiral et le second sur la dunette. Elle s’y glissa sans un
mot, mais avec cette détermination qui souvente fois émanait d’elle, et
touchait beaucoup l’amiral car la comtesse lui faisait alors songer à petite
fille.
Peut-être pensait-elle que, malgré la
prédiction du Crétois, elle allait mourir, et comment ne le point penser à
considérer des forces si disproportionnées ?… Ancrée dans cette croyance, elle
avait revêtu fort belle robe de soie grise mouchetée d’argent avec un joli
rabat et des manchettes de dentelles. Elle portait en outre bas de soie
incarnat et était coiffée d’une toque de velours marine où se trouvait plume d’autruche
noire retenue par une agrafe d’argent.
L’amiral lui parla d’une voix dure, que
démentait absolument son regard tendre et amoureux :
— Vous trouver en cet endroit est chose
fort dangereuse, madame.
— C’est donc bien ma place, à vos côtés.
Il ne tenta pas même de faire preuve d’autorité.
En cela, le comte de Nissac avait opinion très différente de celle du temps où
les femmes n’avaient point leur mot à dire, pensant au contraire qu’Isabelle, dont
il admirait l’intelligence, pouvait en conséquence choisir de se trouver sur la
dunette plutôt qu’en les ponts inférieurs où elle ne serait pas davantage à l’abri
si le vaisseau venait à couler brusquement. Et le fait qu’elle fût une femme n’altérait
ni en un sens, ni en l’autre, le jugement de l’amiral.
— Quinze vaisseaux… Comment vas-tu faire ?…
demanda-t-elle, plus perplexe qu’anxieuse.
— Du mieux qu’il m’est possible.
— Tu as une idée sur ce combat ?
— J’ai une idée assez précise.
— Et tu t’en vas me la dire ?
— Bien sûr que non !
Il se tourna vers elle, lui sourit, et lui
glissa autour du cou belle chaîne d’argent où se voyait magnifique diamant en
table :
— Je voulais vous l’offrir pour fêter le
premier mois passé ensemble mais la présence entêtante de galions espagnols a
pour effet de hâter les choses.
Elle l’embrassa avec force et il éprouva
quelque peine à s’arracher délicatement à cette étreinte, lui murmurant :
— Je t’aime.
Monsieur des Ormeaux, qui venait par pudeur de
faire deux pas en arrière, se demanda pourquoi la guerre venait chercher
querelle à l’amour si souvente fois en l’histoire des hommes.
L’amiral espagnol
soupira d’aise : Le Dragon Vert avait choisi de passer entre la
file de galions de gauche et celle du centre.
Coup heureux, car c’est sur l’aile gauche, précisément,
qu’il avait placé ses plus récents vaisseaux, appuyant ainsi la croyance selon
laquelle, en tout dispositif de bataille, il faut une aile plus forte qui
enveloppe et écrase l’adversaire sur lequel elle se referme. Certes, le
Français, en tous les cas, n’avait guère de chance d’échapper à la destruction
mais pris entre la file du centre et celle de droite, les choses eussent été
moins nettes : les navires de droite, plus anciens, beaucoup plus lents, dotés
d’une artillerie imprécise et d’équipages moins combatifs, auraient dû
conjuguer tous leurs efforts pour assommer suffisamment leur adversaire afin
que la colonne du centre, arrivant juste après, achevât le travail en grande
sûreté.
Le second se pencha vers l’amiral.
— La chance est avec nous !
— Si Dieu le veut…
Le second, un grand Espagnol aux larges
épaules qui ne doutait pas un instant de la victoire,
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