Le Voleur de vent
Dragon Vert où le chirurgien s’affairait,
devant soigner davantage encore de blessés.
Pendant ce temps, on réparait grossièrement
toiles et bois sur le galion malmené par les tirs espagnols.
L’amiral de Nissac, quant à lui, observait, lointain
et silencieux, les cinq galions lancés à ses trousses.
Avec intelligence, les capitaines espagnols
aux navires groupés prenaient très fréquemment relais les uns des autres en
tête de la formation, ce qui assurait grande vitesse à l’ensemble.
Paray des Ormeaux, Fey des Étangs, Sousseyrac,
Valenty, Yasatsuna et la comtesse se trouvaient eux aussi serrés sur la dunette,
tentant de n’y point occuper trop de place et tous observaient tour à tour l’amiral
et les cinq puissants vaisseaux espagnols.
Des Espagnols, il n’était rien à penser sinon
que, leurs voiles intactes, ils gagnaient inéluctablement du terrain.
De l’amiral, on n’aurait su que dire, son
visage ne trahissant rien de ce qui pouvait occuper son esprit.
Aussi, les hommes présents ressentirent-ils
grand soulagement lorsque la comtesse de Nissac, qui n’avait point froid aux
yeux, osa ce que nul n’avait jamais osé sur Le Dragon Vert : parler
à l’amiral tandis que, muré en lui-même, il observait l’ennemi et cherchait le
difficile chemin menant à la victoire.
Elle s’exprima d’une voix charmante, presque
joyeuse :
— Nous rattraperont-ils ?
Le comte de Nissac sursauta, en effet très
surpris de ce qu’il pensait usage établi : qu’on ne le dérangeât pas quand
il réfléchissait.
— La chose est certaine si rien n’est
tenté.
— Il nous faudra alors combattre ?… insista
la comtesse.
— Si tel que vous le pensez ils nous
rejoignent, il faudra en effet livrer bataille.
La comtesse reconnut, malgré dramatiques
circonstances, la lueur amusée en les yeux gris du comte. Et en fut troublée et,
fort amoureuse, eût alors aimé l’embrasser et qu’il la prît dans ses bras.
Elle se contint cependant et, devinant par
intuition que, contrairement à tous ceux réunis sur la dunette, il avait trouvé
solution, elle demanda :
— Je n’ai sans doute point posé la bonne
question ?
Nissac sourit.
— En effet.
Elle lui rendit son sourire.
— Bien. Autre chose, alors : que
faites-vous depuis près d’une heure, ne bougeant point ?
La voix de l’amiral se fit plus lointaine :
— J’observe la manière de naviguer de
chacun de ces cinq capitaines.
— Et qu’avez-vous appris ?
— Il suffit pourtant de regarder : l’un
d’eux est d’un caractère plus faible que les autres. Je dirais qu’il a peur.
Et en tel état
vivait en effet ce capitaine espagnol qui aurait été fort surpris d’apprendre
que son manque de mordant, que nul ne percevait en son entourage, n’ait point
échappé, par infimes détails, à l’amiral de Nissac.
D’ancienne noblesse, ce jeune capitaine n’était
pourtant point lâche mais c’était là son premier combat et le Français au
terrible nom de Dragon Vert lui semblait navire surnaturel ayant
équipage de diables. Jamais, et bien qu’il ait lu nombreux ouvrages de marine, il
n’avait eu connaissance, en délai si court, de deux navires coulés et huit si
défaits qu’ils se trouvaient immobilisés.
Le jeune capitaine, peu rassuré, venait à son
tour de prendre la tête de la meute lorsque chose incroyable se produisit : Le Dragon Vert, qu’on pourchassait pour la mise à mort, effectua prompt
et superbe demi-tour, très court, puis, tel un lion blessé, ce fut lui qui
chargea fougueusement ses poursuivants.
Affolé, le jeune capitaine donna aussitôt
ordre de dérober sur bâbord et la panique étant chose qui se communique fort
rapidement, les quatre autres galions agirent de même.
Semblant parader avec superbe insolence, Le
Dragon Vert, quoique très étrillé, fit alors un lent demi-tour ponctué d’une
salve de victoire puis, fleurs de lys au vent, il mit le cap sur Toulon en
grande vitesse.
Les cinq capitaines, dépassés, perdirent du
temps à ne point vouloir être celui qui se placerait en tête pour reprendre la
poursuite et firent tant traîner les choses que la traque devint impossible, le
Français disparaissant à l’horizon.
Vingt minutes plus tard, la flotte de secours
et celle de poursuite arrivaient presque ensemble, alignant dix-sept bâtiments
venant des ports de Santander, La Corogne, Lisbonne, Cadix et Carthagène mais, devant
les navires démâtés,
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