Le Voleur de vent
s’approcha davantage
encore, afin que les autres officiers n’entendent point ses paroles :
— Y aurait-il place pour le moindre doute,
monsieur l’amiral ?…
La question, étrangement, eut effet de
libération sur l’amiral en cela que dite, elle existait, quittant limbes
incertaines et sauvages de l’esprit.
L’amiral éprouva aussitôt les choses en plus
grande clarté :
— Non, le doute n’existe pas et nous l’allons
couler. Mais regardez-le…
Le second observa Le Dragon Vert, puis :
— Il est… était… vraiment fort beau. Fin,
de belle race, et c’est grand dommage que nous ne le puissions capturer.
L’amiral espagnol eut un geste agacé :
— Tout cela est vrai, mais vous ne l’avez
point regardé comme il convient. Voyez, il semble courir sur les flots, étrave
ne pénètre point profondément en la vague comme nos navires… Oui, il semble
courir sur la mer et telle vitesse paralyse en nous renvoyant à notre
impuissance. Il faut prendre garde à cet effet. Voyez-vous, une des grandes
forces de ce navire fut que, par sa grande vitesse, il semble dominer toujours,
pouvoir s’éloigner, revenir, frapper où il veut, quand il veut. Avant de livrer
bataille, Le Dragon Vert gagnait celle des esprits et cet amiral
français qui le conçut a dû beaucoup réfléchir. Allons, préparons-nous car…
L’amiral, stupéfait, demeura bouche ouverte
sans finir sa phrase car devant le nez de son vaisseau, Le Dragon Vert venait
de virer de bord et une formidable artillerie, telle qu’il n’en soupçonnait pas
même l’existence, ouvrait le feu.
Sur le navire amiral, c’est-à-dire sur
lui-même…
81
L’amiral espagnol, pourtant bon marin, fut
totalement pris au dépourvu en voyant Le Dragon Vert couper
horizontalement sa route en ouvrant sur lui un feu d’enfer.
S’il avait disposé de temps, mais ce ne fut
point le cas, il se serait rassuré en se persuadant que son navire se
présentant de face offrait peu de surface qu’on puisse attaquer hors la proue, le
beaupré et peut-être le mât de misaine, premier des trois mâts.
Mais les choses ne se passèrent point ainsi qu’il
l’aurait pu penser.
En effet, ayant nouvellement installé sa
terrifiante artillerie balayant cent quatre-vingts degrés, c’est bien en usant
de ce formidable avantage que l’amiral français fit ouvrir le feu sur navire
qui, après quelques encablures, n’était déjà plus de face mais exposait
dangereusement un de ses bords.
L’amiral espagnol fut stupéfait par la haute
cadence de tir du navire français. Le temps de quelques soupirs, les trois mâts
de son navire étaient brisés. Déjà, nouvelle salve ravageait le pont, pulvérisant
pêle-mêle infanterie, débris de mâts et de voilure, celle-ci se teintant de
rouge au contact des morts et des blessés.
Mais l’étonnement de l’Espagnol ne dura pas
davantage, un boulet lui emportant la tête et l’épaule gauche, si bien qu’il ne
vit pas son navire couler.
L’amiral-comte de
Nissac, ordonnant qu’on écrasât sous le feu premier navire de la file du centre,
n’avait point agi à la légère, reconnaissant fanion d’un navire amiral.
Et l’effet escompté se produisit bel et bien
en cela que sur les autres navires espagnols, bataille à peine commencée, on se
désespérait doublement. Ainsi, comme en toutes les armées du monde, on
ressentit sentiment de panique en perdant le commandant en chef à quoi s’ajoutait
la manière en laquelle s’était produit l’événement, le navire amiral étant
pulvérisé en un temps si court que nul n’avait jamais rien vu de semblable, et pas
davantage entendu parler de pareille issue en si bref délai.
Et c’est alors que le navire français, qui en
cette courte bataille avait navigué perpendiculairement aux trois files
espagnoles, changea brusquement de route pour aller parallèlement, et à courte
distance, à la rencontre des galions de la file de droite qu’il allait ainsi
remonter sur toute sa longueur, n’ayant que la mer de l’autre côté.
Agissant de cette manière, Nissac se trouvait
protégé par ses proies du tir des deux autres files de galions qui, ouvrant le
feu, auraient d’abord touché les leurs.
En outre, l’amiral de Nissac, du premier
regard, avait noté la faiblesse des navires de la file de droite trop anciens, trop
lourds, trop lents et peu aptes à une manœuvre de défilement.
Au côté de Nissac, le second commençait à
comprendre les
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