Le Voleur de vent
mi-voix :
— Leur nombre exact, monseigneur ?
— S’il en manque un ou deux, je ne vous
en tiendrai point rigueur.
— Bien. En les chiffres qu’on dit…
— Qui est ce « on » ?… coupa
Nissac.
Lepeyron eut l’air étonné. En vérité, il n’en
savait rien, ne s’étant même jamais posé la question.
Il mentit donc en grande effronterie :
— Cela, je ne puis hélas vous le révéler.
— Soit, poursuivez.
— Donc, d’après ces chiffres qui montrent
que le Malin n’est point seul, il existerait 72 princes des ténèbres et 7 405 926
diables divisés en 111 légions, chacune de 6 666 suppôts.
Nissac, qui comptait remarquablement vite en
raison de son amour des mathématiques, secoua la tête.
— Le compte n’y est point, monsieur. Les
suppôts multipliés par le nombre de légions, même en y ajoutant les 72 princes
des ténèbres, nous arrivons à 739 998. Il nous manque 6 665 928
suppôts. Pourtant, pareil troupeau de diables et de suppôts errant sur les
bords de Loire où en la ville de Paris ne devrait point échapper à un œil
attentif.
Lepeyron n’avait jamais vérifié ses chiffres, aussi
répondit-il :
— Sans doute, monseigneur, mais il est
certains diables qui s’en vont leur chemin à leur façon, n’aimant point vivre
en groupe car ayant mauvais caractère.
— Je vois !… répliqua Nissac qui
ajouta : mais le diable en chef, celui qui commande à cette nombreuse
compagnie, comment le reconnaît-on ?
Lepeyron hocha la tête une bonne vingtaine de
fois, ce qui fit craindre à Nissac et ses amis qu’il ne fût brusquement envoûté
mais il n’en était rien car le magicien reprit :
— C’est qu’il est fort habile, monseigneur,
et change souvente fois d’aspect tel un caméléon. On peut donc le voir en
serpent, en loup, en crapaud, en corbeau, en chat noir…
— Jamais en dinde farcie ?… demanda
Fey des Étangs.
Lepeyron l’ignora, poursuivant :
— Pour les occasions importantes, on le
voit en cavalier noir sonnant du cor.
Nissac eut l’air étonné.
— Comme c’est étrange… Mais s’il sonne du
cor pour rappeler à lui les 7 405 926 diables répartis en 111 légions
de 6 666 suppôts, à quoi il faut ajouter millions de diables qui folâtrent,
il risque de sonner du cor jusqu’à expulsion de son dernier lambeau de poumon, ne
pensez-vous point ?
— Point ne court ce risque, monseigneur, car
le diable a deux oursins en place des poumons.
— C’est donc ainsi qu’il nage sous l’eau !…
commenta Nissac d’un air pénétré.
— Eh… Voilà !… répondit l’autre qui
était pris de court.
L’amiral demanda alors :
— Mais ce cavalier noir sonnant du cor, le
reconnaît-on d’autre façon ?
— Certainement !… Son corps est
puant et crasseux. Ses mains et ses pieds crochus. De plus, il est tout en
poils et a des jambes d’âne.
— Je devrais en effet le reconnaître de
loin !… commenta Nissac.
Isabelle, jusqu’ici silencieuse et qui s’amusait
d’une telle bêtise, demanda à son tour :
— Mais ce diable aux jambes d’âne, où se
rend-il ainsi ?
Lepeyron prit air entendu, comme si le diable
et lui-même se trouvaient en grande intimité, vieux amis qui n’ont point de
secrets l’un pour l’autre :
— Mais au sabbat !… Au sabbat qui est
grande fête donnée la nuit par le démon.
Fey des Étangs, qui comme les autres se
gardait de montrer son amusement, demanda :
— C’est là ce célèbre sabbat qui crée si
grande peur en le peuple sans qu’on sache en vérité ce qui s’y passe exactement ?…
Mais vous, monsieur, vous qui par rare privilège êtes en grande intimité avec
le diable, nous le direz-vous enfin ?
Lepeyron, homme vaniteux, fut flatté. Voyant
pourtant tous ces visages ouverts par l’amusement qui gagnait l’assistance de
minute en minute, il s’abusait, croyant voir là manifestation d’une sorte de
révélation.
— Le sabbat est toujours annoncé par le
diable lui-même qui souffle dans un cornet que seuls peuvent entendre sorciers
et sorcières. Ainsi, les nuits d’orage ou de pleine lune sont souvente fois
appel de Satan. Après cette annonce, on se retrouve à quelque carrefour battu
par le vent du nord ou en un champ touché par la foudre. Les sorciers, heureux
de revoir ceux de leur compagnie, se frottent le corps avec un onguent. Puis, Satan
apparaît enfin sous l’aspect d’un cochon noir. Il a une bougie
Weitere Kostenlose Bücher