Le Voleur de vent
tête bien
ronde voler à une toise au-dessus des combattants, puis une seconde un instant
plus tard, puis une troisième, une quatrième…
À travers les rangs soudain éclaircis des
spadassins, il distingua, fasciné, petit homme d’Asie tenant à deux mains sabre
long et étrange dont il se servait en si grande vitesse qu’on ne voyait point
le mouvement – mais l’effet, oui !…
Devant semblable hécatombe et force si
indestructible, tandis que deux nouvelles têtes volaient, les spadassins, pourtant
excellents combattants, fléchirent et bientôt le colonel Sotomayor les vit s’enfuir,
les yeux agrandis par la terreur, certains jetant leur épée sur le pavé. Et il
ne fut point jusqu’au redoutable Levrault qui ne courut lui aussi ventre à
terre pour échapper au Dieu de la guerre asiatique qui opérait comme faucheur
en les blés mûrs.
Cependant, et tandis que ne restait sur place
que l’Espagnol, le comte de Nissac retint le seigneur Yasatsuna et s’approcha à
sa place.
Le colonel Sotomayor, courageusement, sortit l’épée
du fourreau, ignorant qu’il avait favorablement impressionné le comte de Nissac
en ne fuyant ni devant lui ni, quelques instants auparavant, face au seigneur
Yasatsuna.
Cependant, Nissac lui parla durement :
— Êtes-vous le chef de cette bande d’assassins ?
— J’ai en effet ce grand déshonneur.
Nissac et ceux qui l’accompagnaient furent
surpris par les paroles de l’Espagnol et la noblesse qui émanait de sa personne.
Il reprit :
— Juan de Sotomayor, colonel de cavalerie.
Ainsi ne disait-il pas être espagnol, ce qui
eût été trahir son parti quand Nissac préféra considérer que la chose allait de
soi sans qu’il faille insister.
— Vous savez qui je suis ?… demanda
Nissac.
— Perfectamente, monsieur l’amiral.
— Et vous me deviez tuer ?
— Tels étaient en effet mes ordres.
Nissac préféra ne point prolonger la situation
car sa détermination vacillait.
— Eh bien essayez, mais loyalement.
Ils engagèrent aussitôt le fer et d’emblée, le
comte de Nissac eut l’avantage par l’aisance et la domination qu’il exerçait
sur son adversaire. Il parait les coups du colonel en le serrant toujours plus
près, sans cependant conclure.
La chose étonnait ceux du Dragon Vert qui connaissaient le grand art de Nissac et l’habitude qui était la sienne de
la manière espagnole en les combats à l’épée.
Il jeta un bref regard à ses amis, et
découvrit le visage angoissé d’Isabelle si bien que, cette fois, il ne différa
plus l’issue du combat.
Mais, au lieu de toucher d’un coup énergique
la gorge de son adversaire, selon la manière qu’on lui connaissait, il le
désarma d’un coup habile, la pointe de son épée appuyant légèrement sur la
carotide du colonel.
Les deux hommes s’observèrent, les yeux gris
du comte de Nissac cherchant les yeux noirs du colonel Sotomayor.
Enfin, d’un geste vif et précis, l’amiral replaça
son épée au fourreau en disant :
— Vous seriez mieux en Espagne, colonel. Ici,
et dans ce rôle, vous n’êtes point à votre place où l’on vous abaisse en
prétendant vous élever, où la fidélité à un roi est sans doute grande
infidélité à vous-même, où le déshonneur en les moyens altère l’honneur de
servir la cause de votre pays.
Sotomayor baissa les yeux. Un instant, il eût
préféré que le comte de Nissac ne lui laissât point la vie et tout, ainsi, eût
été conforme à ce qu’il attendait, ce à quoi on l’avait préparé depuis l’enfance.
Il éprouva grande difficulté à dominer l’émotion
qui le saisissait.
La vie. Il l’appréciait hors les batailles et
les bruyants cantonnements. Il aimait mille choses, des ruelles des villes d’Espagne
comme coupées en deux entre ombre et lumière au regard perdu d’une femme qui se
pâme en l’amour. Oui, il aimait cette vie en laquelle on croisait un homme tel
que l’amiral de Nissac car, pour le colonel, acte si généreux ne se pouvait
perdre de manière isolée. Abasourdi de pousser si loin sa réflexion en un tel
moment, il lui sembla tout soudainement que les actes de bonté se trouvaient
tous rassemblés, depuis la nuit des temps, en un côté des nuées quand de l’autre
côté se trouvaient forces du mal : cruauté, mensonges, jalousie, bassesse,
sauvagerie, violence, mépris du faible…
L’Église mentait, ou ne disait qu’une partie
des choses, car sa théorie nouvelle,
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