Le Voleur de vent
plantée sur le
front.
— Avec fort vent du nord ?… Il a
quelque mérite !… remarqua Sousseyrac.
Lepeyron décida d’ignorer ces paroles et
poursuivit en baissant le ton :
— Satan a donc cette bougie plantée sur
le front. Sorciers et sorcières viennent y allumer la leur qui lance aussitôt
ardentes flammes bleues. Les bougies allumées, les sorcières s’agenouillent
derrière le cochon noir afin de lui embrasser les couilles et le cul.
— C’est fort malpropre !… observa
Fey des Étangs tandis que madame de Nissac lançait, non sans véhémence :
— Pourquoi est-ce les femmes… les
sorcières, qui embrassent les parties que vous dites de ce cochon ?… Pourquoi
les sorciers sont-ils dispensés de ce répugnant ouvrage ?
— Je l’ignore, madame !… répondit
avec prudence Lepeyron qui reprit le fil de son histoire : après viennent
des danses frénétiques où l’on voit des stropiats caducs retrouver leurs jambes
tandis que les femmes avortent. Enfin, cela s’achève en grande orgie de toute
la corporation et souvente fois, fascinés par le mal, des prêtres rejoignent
ces cérémonies infernales car les contraires ont parfois attirance l’un pour l’autre.
Le comte de Nissac, demeuré longuement
silencieux, demanda alors :
— Connaissez-vous sorcier, monsieur ?
Lepeyron fut tout soudainement mal à l’aise
sous le regard de ces deux yeux gris qui semblaient fouiller au fond de lui, aussi
décida-t-il de répondre franchement :
— Un, au moins, qui se prétend tel mais
il finira pendu, et pour tout autre chose. Il erre la nuit en les rues de Paris
et je m’en vais vous dire en quel dessein. On dit qu’il s’agit d’un vérolé qui
se venge des femmes. Haut d’une toise, il se cache dans l’ombre et, lorsqu’il
en surgit, tel un géant de pierre, il donne si forte impression de terreur que
les femmes en sont paralysées et n’osent ni hurler, ni tenter de s’échapper. Lorsque
cette folie le prend, il oublie tout, et même la sorcellerie où il excelle car
je l’ai vu faire apparaître colombe en sa main vide un instant auparavant… Or
donc, il saisit les femmes entre ses bras puissants. Il porte chapeau à plumes
noires qui dissimule son visage, aussi les malheureuses ne se souviennent que
de son haleine qui sent l’oignon car il embrasse les femmes sur la bouche mais
il commet aussi forfait plus grave… Oui, il fouille leur devantier [25] de sa main recouverte d’un gantelet de fer hérissé de pointes, créant
ainsi épouvantables blessures et grandes souffrances. En la ville de Paris, on
l’appelle « le tâteur ».
— Intéresse-t-il mon ami le duc d’Épernon ?
— Au plus haut point. Car j’ai dit à
monsieur le duc, qui m’écoutait comme vous le faites vous-même, que « le
tâteur », connu comme sorcier, faisait également courir le bruit qu’il
était devenu loup-garou.
— Loup-garou ?… demanda madame de
Nissac, surprise.
Lepeyron expliqua aussitôt :
— Il est presque impossible d’en
rencontrer un vivant car, à peine capturés, ils sont brûlés vifs en grande
urgence, mais « le tâteur » dit peut-être la vérité car les
loups-garous sont quelquefois des sorciers. Cette chose a nom la lycanthropie, qui
distingue celui qui se croit transformé en loup. J’ai vu le cadavre de l’un d’eux,
à Meaux. Il aurait pu passer pour homme ordinaire n’étaient ses dents fort
longues, belles et très blanches. Celui-ci, tué d’un coup d’arquebuse au cœur
tiré à bout portant, avait des yeux de fol et des ongles noirs, très longs, sans
doute pour s’enfoncer en la gorge de ses victimes. Ceux qui le tuèrent dirent
qu’avant d’être occis, il bondissait et sautait avec la dextérité d’un singe.
Nissac sentait qu’il se trouvait proche de
chose intéressante, bien entendu liée à d’Épernon, aussi insista-t-il :
— Que ferait le duc d’Épernon d’un
loup-garou fort dangereux à domestiquer ?
Lepeyron hocha la tête.
— C’est là, monseigneur, question que je
me suis moi-même posée. Monsieur le duc voulait en savoir sans cesse davantage
sur ce sujet qu’il tenait en grande passion. Mais, en tout ce que je lui dis, une
seule chose le fit tressaillir.
— Laquelle ?
Lepeyron sourit de façon irritante, gardant un
silence narquois.
— Il veut de l’or !… souffla Fey des
Étangs.
— Il n’en a eu que trop !… répondit
Sousseyrac.
Nissac n’était point à court
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