Le Voleur de vent
prononce son nom…
— Il le faudra cependant, monseigneur, car
je dois être prudent. Mais sachez que ceci restera entre nous et que votre ami,
que je m’honore de servir ainsi que vous le dites, n’en saura rien.
— Soit. Il s’agit de monsieur le duc d’Épernon,
Grand Amiral de France.
Et, sur ces mots, tandis que Lepeyron, nerveux,
prenait son menton en sa main, le comte de Nissac renversa le contenu d’une
bourse rondelette sur la table.
L’homme observa les pièces d’or avec grande
fascination, puis leva sur Nissac un regard servile.
— Je m’en vais tout vous dire.
Tout en parlant, il remettait déjà les pièces
d’or en la bourse qu’il déposa bientôt en un pichet d’étain.
Juan de Sotomayor, colonel
de cavalerie en l’armée du roi d’Espagne, Levrault, bras droit de Dieulefit qui
commandait la redoutable bande de « L’âne mort » et une quinzaine de
spadassins attendaient en la rue Saint-Leu où logeait Lepeyron, qui se
prétendait magicien et recevait en cet instant précis Nissac et ses amis.
Cette fois, l’Espagnol, entouré de dix-sept
très fines lames, ne doutait pas que l’affaire serait victorieusement et
promptement menée car l’amiral français, outre sa femme, n’était accompagné que
de quatre de ses officiers.
Sotomayor plaça ses spadassins. Douze se
tenaient en l’échoppe d’un tailleur qu’ils menaçaient, et ne bondiraient que
sur un signal. Les autres discutaient en la rue par petits groupes mais tous
encercleraient Nissac et les siens dès qu’ils sortiraient de la maison du
prétendu magicien. La seule chose qui gênait Sotomayor tenait en l’étroitesse
de cette rue Saint-Leu, où l’on ne pouvait demeurer trop longtemps à discuter
sans finir par attirer l’attention.
Sotomayor soupira. Tuer un homme courageux, qui
plus est avec un nombre d’assaillants qui ne laissait aucune chance à l’amiral
lui soulevait le cœur. Pour lui-même, et s’agirait-il d’une affaire de vie ou
de mort, il n’eût point agi ainsi qu’il s’était résolu à le faire mais en le
service de son roi, il ne pouvait dérober, quoi qu’il lui en coûtât.
Il souhaita en finir rapidement. Quitter ce
Paris trop froid et trop peuplé, retrouver le soleil d’Espagne. Dès que le pavé
de la rue Saint-Leu serait rougi du sang de l’amiral de Nissac et de ses
compagnons, il se mettrait en selle.
Mais il ne doutait point qu’il ne trouverait
jamais plus la paix de l’âme.
Il sembla au
cardinal de Bellany que deux cavaliers, l’un à droite et l’autre à gauche, venaient
de sauter de leurs chevaux pour prendre place près de l’homme qui menait son
carrosse.
Et cette impression devint certitude lorsque, se
penchant, il distingua deux chevaux sans cavaliers tandis qu’un troisième
cavalier, sans quitter sa selle, rattrapait adroitement les deux bêtes affolées.
Le cardinal se trouva aussitôt plongé en
grande perplexité mais celle-ci ne dura point. En effet, jetée de l’extérieur
par la fenêtre ouverte, quelque chose roula à ses pieds.
Se penchant, le cardinal découvrit la tête sanglante
de son cocher.
Il poussa un hurlement qu’il suspendit presque
aussitôt car un homme, en agilité qu’on eût cru de créature surnaturelle, se
glissa depuis l’avant à l’intérieur du carrosse.
Il tenait dague sanglante à la main.
Bellany envisagea de se jeter hors du carrosse
pour fuir l’assassin et son complice qui à présent devait mener l’attelage.
Pourtant, et sans qu’il en comprît la raison, le
cardinal de Bellany ne trouva jamais la force d’accomplir un tel acte.
Il demeurait immobile et fasciné.
En face de lui, « Rouge » ne le
quittait pas des yeux…
88
L’amiral de Nissac était stupéfait, non point
de ce que lui apprenait Lepeyron, soi-disant magicien, mais que le duc d’Épernon
fût assez fol, ou assez sot, pour écouter pareille idiotie.
Certes, il faut toujours bien connaître l’adversaire
pour le mieux vaincre, mais déjà l’amiral estimait en avoir assez entendu quand
il jugeait par ailleurs que ce Lepeyron ne représentait point un danger pour la
couronne.
Cependant, en toutes choses, l’amiral avait pour
penchant de chercher la perfection, aussi s’obligea-t-il à écouter et
questionner en grande patience son interlocuteur.
— Je vous ai bien écouté, monsieur, mais
dites-moi, ces diables : combien sont-ils ?
L’œil comme illuminé et la mine gourmande, Lepeyron
répondit à
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