Le Voleur de vent
chose.
S’étant ressaisi, le cardinal de Bellany
demanda :
— Mais que vous est-il donc arrivé ?
— Un loup-garou demi-fou un soir de
pleine lune s’est jeté sur moi tandis que je tentais de le ramener à Dieu et a
dévoré mon nez, mes lèvres, ma joue, gobé un œil et causé ravages que vous
voyez là.
L’ambrosien se garda de révéler que la
curiosité, et non la foi, l’avait seule poussé vers la créature. À quoi s’ajoutait,
encore mal formulée à l’époque, idée que pareil monstre pourrait servir son
ambition.
Aussi est-ce non sans hypocrisie, et éprouvant
quelque chose de suave en la menterie, qu’il ajouta :
— J’ai souffert, je souffre encore, mais
au moins ai-je fait mon devoir.
Le cardinal demeura coi devant pareille
abnégation, ou ce qu’il comprit comme telle, puis il suivit l’ambrosien vers la
haute salle où se tenait la réunion.
La rencontre secrète des conjurés n’apporta
rien qui fût réellement nouveau et certains soupçonnèrent le duc d’Épernon de l’avoir
suscitée pour le seul plaisir de s’entendre discourir, à moins que ce ne fût
pour se donner du courage car on se trouvait à présent très proche de l’instant
où il faudrait entreprendre l’action définitive qui scellerait le sort de
chacun, et celui du royaume.
Les conjurés sortirent en manifestant
discrétion un peu feinte car la plupart s’étaient habitués à n’être point
inquiétés à l’issue de ces rencontres mais on affectait vis-à-vis des autres de
prendre très au sérieux les mesures de prudence.
L’un, pourtant, eût été avisé de bien
surveiller les alentours, et celui-là était le cardinal de Bellany.
À peine s’engouffrait-il en son carrosse que l’ambrosien,
d’un mouvement de tête, le désignait à un officier de la Milice qui dès lors
entreprit de le suivre.
Contrairement aux espions de la police
agissant pour le roi, ceux recrutés par le moine défiguré étaient gens de grand
talent, longuement choisis parmi mille autres.
Cette foi, l’espion nota qu’au sortir de la
réunion secrète le cardinal de Bellany rencontra en des lieux singuliers le
chef de la police et Luc de Fuelde en compagnie du Père Joseph.
Pour l’ambrosien, lorsque la chose lui fut
rapportée, il y vit trois raisons d’appliquer le seul châtiment qu’il
connaissait : la mort.
Restait à mettre au point de quelle façon et
avec quels raffinements, mais pareilles questions ravissaient le moine défiguré
qui aimait, en cette matière, laisser libre cours à sa fertile imagination.
L’amiral de Nissac
et la comtesse sortirent de l’hôtel particulier de la rue Galande accompagnés, sur
l’insistance de Luc de Fuelde, de Sousseyrac, Valenty, le seigneur Yasatsuna et
Fey des Étangs qui avait rejoint à bride abattue, porteur d’une dépêche de
Paray des Ormeaux qui amenait l’équipage depuis Rouen à marche forcée.
Ils se présentèrent à deux heures de relevé
chez ce Lepeyron, qu’on disait versé en la magie à laquelle il initiait le duc
d’Épernon.
L’homme fut enchanté du nombre de seigneurs
richement vêtus, et pareillement de la dame leur faisant escorte, qui
pénétraient dans sa maison.
Nissac, seul, parla. En bonne inspiration, il
expliqua que ses amis et lui-même avaient formé petite société secrète car ils
se sentaient attirés par les choses infernales qui ont le mérite de rompre la
monotonie de l’existence.
Ce faisant, il renforçait Lepeyron en la
croyance qu’il avait affaire à seigneurs riches et désœuvrés, légers et assez
stupides. Il en conclut qu’il lui serait aisé de les manœuvrer à se convenance
et de s’enrichir à leurs dépens.
Un dernier point, cependant, empêchait encore
le bon déroulement de ce plan, aussi Lepeyron se montra-t-il concis :
— Tout cela est parfait, messeigneurs et
belle dame, et je vous puis satisfaire en toutes ces choses mais il n’est point
sans risques de parler de certains sujets si bien que je dois, avant de
déferrer à votre demande, vous poser une seule question : qui vous envoie ?
Le comte de Nissac feignit un brusque embarras.
— En vérité, nul ne nous envoie. Mais
quelqu’un qui m’est proche m’a parlé de vous.
Lepeyron réfléchit un instant.
— La chose est flatteuse mais ma question
demeure car si j’ai confiance en ce « quelqu’un », j’aurai confiance
en ses amis.
— C’est que je ne suis pas certain qu’il
apprécierait que je
Weitere Kostenlose Bücher