Le Voleur de vent
la dirigeait déclara, avant
même de voir le corps, que la mort était survenue lors du deuxième coup de
couteau. Ensuite, lors de l’autopsie, il affirma qu’il ne fallait point faire
état des plaies légères à la gorge et à la tête, qui risquaient de créer
confusion en le peuple et alimenter nombreuses rumeurs qui couraient déjà sur
la mort du roi. Au reste, il avait la certitude que ces plaies qui, une fois
nettoyées, révélèrent deux petits orifices ne pouvaient provenir que de l’effet
de la chute du corps du roi lors de son transport, ce dont ne se seraient point
vantés ceux qui en étaient responsables.
Tous parurent convaincus par cette version
dont ils sentaient bien qu’on la souhaitait définitive chez la régente et les
hauts seigneurs, les nouveaux maîtres, qui l’entouraient.
Un seul, pourtant, n’en crut pas un mot. Médecin
fort habile, et sans doute le plus brillant de cet aréopage mais huguenot, ce
qui brisa sa carrière, il comprit qu’il ne serait point habile d’attaquer cette
version en passe de devenir officielle. Et de faire remarquer, par exemple, qu’à
l’orifice en la gorge correspondait très exactement un autre, en la nuque :
une balle n’aurait pas mieux fait !
Avec une hâte très inhabituelle, on ôta les
entrailles du roi qui furent mises en un vase qu’on porta à Saint-Denis. Le
cœur, lui, fut placé en une urne de plomb enfermée en un reliquaire en forme de
cœur et aussitôt porté au collège de La Flèche dirigé par les jésuites. Enfin, on
embauma et maquilla le cadavre qu’on mit aussitôt en bière.
Ne pouvant plus voir le corps, il devenait
difficile, voire impossible, de contester les raisons de la mort du roi d’autant
que le faste des cérémonies mortuaires qui suivirent eut pour effet de
distraire la foule des questions qui se posaient ici et là.
Escamotant les raisons de la mort, on tuait le
roi une seconde fois.
Si bien qu’on aurait pu se demander combien de
fois, exactement, on avait tué Henri quatrième ?… Mais cette question ne
fut point posée.
Du moins, pas officiellement.
On nettoya au sabre
le bosquet de houx et il révéla, cette fois en grande clarté, l’entrée d’un
souterrain.
Nissac fit allumer une torche pour trois
hommes et cette douzaine de sources lumineuses éclairèrent voûtes et recoins
des souterrains tels qu’ils ne l’avaient jamais été.
Cependant certains, qui ne le dirent point, regrettèrent
peut-être qu’on y vît aussi bien car les galeries étaient littéralement
jonchées de squelettes.
Sousseyrac se pencha sur plusieurs, saisit
même en ses mains gantées deux crânes qu’il observa attentivement, vérifiant la
dentition. Enfin, troublé, il se tourna vers Nissac :
— Monsieur l’amiral, tous sont des restes
d’enfants. On a fait, ici, très grand carnage d’enfants !… Des enfants !…
Les paroles de Sousseyrac furent longuement
portées par l’écho en les galeries et le mot « enfant » parut se
répercuter plus longuement que les autres.
— Quelle barbarie !… lança Fey des
Étangs qui regretta ses paroles car on entendit, longuement répété :
« Barbarie ! »… « Barbarie ! »… « Barbarie ! »…
Les lueurs des flammes des torches dansaient
folle sarabande sur le plafond voûté et tout suintant d’humidité des galeries
si bien que les hommes commencèrent à éprouver une peur qui faillit tourner à
la panique car…
Brusquement, dans le pesant silence, on
entendit effarant et sinistre hurlement d’un loup auquel un autre, situé
ailleurs, répondit, et un troisième encore depuis un endroit différent. Les
hurlements se croisaient.
Cette fois, marins et soldats se regardèrent, chacun
cherchant en l’autre le courage de quitter ces lieux maudits en oubliant toute
discipline.
— Des loups !… balbutia un homme
livide.
— Sortez les armes !… lança la voix
calme de Nissac.
Le cliquetis des lames en les fourreaux
rassura un instant tandis que l’amiral, se souvenant de l’intérêt du moine pour
créatures fabuleuses, préféra prévenir pour endiguer toute panique à la vue de
l’une d’elles. Il agita sa torche dont les lueurs dansèrent follement sur les
parois.
— Levez les torches, serrez les rangs !…
Et n’oubliez pas : les loups se combattent comme les hommes même si
ceux-ci sont sans doute mi-hommes, mi loups.
— Loups-garous !… répétèrent
plusieurs voix angoissées.
Et l’on serait
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