Le Voleur de vent
telles questions
et en ferme résolution d’ignorer ce qui les pourrait troubler ?
« Le Finlandais », aux aguets, se
redressa vivement :
— Ils sont tout proches, monsieur l’amiral.
« Rouge »,
aux abois, n’en pouvait plus de soutenir « Bleu » qui, blessé à la
cuisse dans le tunnel, éprouvait grandes difficultés à marcher.
Et l’aristocrate devenu loup-garou se
demandait pour quelle raison il aidait ainsi cet ancien capitaine d’un régiment
d’Auvergne.
Les silhouettes des deux hommes à tête de loup
dont peau grise retombait sur le haut des épaules se découpaient étrangement
sur le soleil couchant.
Lassé, « Rouge » s’écarta de « Bleu ».
— Lâche-moi !… Cela suffit, à
présent !…
Il s’éloigna d’un pas résolu tentant, sans y
parvenir, de ne point entendre la voix de « Bleu » et son ton qui
indiquait grand peur et désarroi à l’idée de la meute qui l’allait saisir :
— Hon !… Hon !… Hon !…
« Rouge » se retourna à demi et eut
le cœur serré en voyant « Bleu », la jambe sanglante raidie par la
douleur, qui tentait de le suivre alors qu’il le voulait abandonner.
Il parla d’une voix dure, mais n’en revint pas
moins sur ses pas :
— Chacun pour soi quand tout s’effondre !…
Je ne suis point blessé, je connais les forêts d’Orléans et puis facilement
sauver ma vie, comprends-tu ?
— Hon !… Hon !… répondit l’autre
en s’asseyant aux pieds de « Rouge », tel un chien retrouvant son
maître, ce qui chavira le cœur du loup-garou valide.
Car « Rouge » savait.
Sans doute allait-il demeurer aux côtés de
cette pitoyable créature appelée « Bleu », sans doute viendrait alors
le temps de la capture puis celui de l’expiation avec une mort en les horribles
souffrances du bûcher où l’on est brûlé vif. Peut-être aurait-il pu recommencer
sa vie ailleurs mais quoi qu’il arrivât, il savait qu’il ne mourrait point en
qualité de loup-garou.
Résigné, « Rouge » s’assit sur l’herbe
à côté de « Bleu » et lui dit :
— Quel destin fut le nôtre, ami !…
— Hon !… Hon !…
« Rouge » arracha une herbe et la
porta en la lumière pourpre du soleil couchant. Elle parut prendre les couleurs
du prisme.
Il poursuivit, avec en la voix profonde
tristesse :
— Avoir ainsi été maudits entre tous les
maudits, chasseurs et chassés, soldats d’une cause qui n’en fut point une… Ne
point même trouver pour soi explication à ce qui fut nos tant effroyables
actions et finir en ne le sachant pas : elle est là, la véritable torture,
et en ceci, le châtiment final !…
— Hon !… Hon !…
Il leva à demi le bras.
— Voici notre dernier coucher de soleil… Ah,
vois-tu, il fut un temps où j’aimais susciter la terreur et la haine. La haine,
surtout !… Je ne voulais exister qu’ainsi et voilà que je vais tout perdre
car je ne peux me résoudre à t’abandonner à ta terreur.
« Rouge » aperçut les hommes
déployés en un large demi-cercle. Ils descendaient depuis la crête d’une
colline et allaient droit vers eux.
Instinctivement, marins et soldats serrèrent
les rangs, allant bientôt au coude à coude.
« Rouge », qui s’était levé, croisa
fièrement les bras en attitude de défi.
— Hon !… Hon !…
Le cri de détresse de « Bleu », toujours
assis dans l’herbe et dont la jambe blessée avait provoqué large flaque de sang,
ce cri rappela à « Rouge » celui d’un enfant craintif. Aussi, sans
même y songer, posa-t-il ses mains sur les épaules de « Bleu ».
Aucun des soldats de
Nissac, ni lui-même, ni la comtesse, ne furent insensibles à l’étrangeté du
spectacle qui s’offrait à leurs yeux.
L’un des loups-garous, blessé, était assis
dans l’herbe, une jambe raidie par la douleur et baignant en le sang. L’autre, debout,
tenait son camarade aux épaules. Ni l’un ni l’autre n’esquissa un geste pour
sortir l’épée du fourreau.
Les têtes de loup étaient étonnamment ajustées
du fait qu’évidées, la mâchoire inférieure ôtée, on les pouvait mettre telles
des cagoules si bien que ces deux hommes semblaient réellement des hommes-loups
sortis ainsi d’une de ces affreuses légendes comme il en court en le pays de
France.
Les yeux gris de Nissac soutinrent sans
faillir le regard bleu du loup-garou qui se tenait à moins de deux toises.
Le comte de Nissac comprit que les
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