Le Voleur de vent
sans doute resté ainsi, certains
figés en l’horreur et incapables d’avancer quand d’autres, brûlant d’en
découdre, voulaient au contraire se jeter follement en avant, lorsque, déchirant
le silence, le seigneur Yasatsuna demanda d’une voix gourmande :
— Loup-garou est-il animal d’Europe
pouvant être mangé par homme qui se trouve affamé tel que moi-même en cet
instant ?
— En tout cas, il n’a point d’arêtes !…
répondit l’amiral de Nissac en souriant.
Attisé par la peur et la nervosité, cet
échange provoqua formidable tempête de rire qui se répercuta en écho
interminable dans les souterrains creusés sous le château des chimères.
Comme les hurlements
de loups peu avant, les rires se répercutaient en les souterrains du château
fort en ruine.
L’Ambrosien demeura brusquement pétrifié de
stupeur et la peur changea enfin de camp : en quoi étaient-ils faits, ces
hommes du Dragon Vert qui riaient quand les autres auraient poussé
terribles cris d’effroi ?
Le moine défiguré prit également la mesure de
sa vanité, de sa grave sous-estimation des forces qui le pouvaient attaquer
quand il s’était illusionné sur sa capacité à répondre avec vigueur à toute
intrusion par la force. Ses loups-garous étaient certes invincibles contre des
villageois ou quelques vieux soldats gardant château de province mais que
pourraient-ils contre cette formation militaire disciplinée, considérée comme l’élite
de la marine et de l’armée royale ?
Il ne fallait donc surtout pas attaquer de
front mais utiliser ses maigres forces par harcèlements en donnant l’impression
que loups-garous se trouvaient partout à la fois, se retirant sitôt le combat
ébauché, frappant et disparaissant.
Ainsi, il pourrait jouer de cette arme qui lui
avait toujours réussi : la terreur !
Les derniers, en la
colonne royale où le calme était revenu, perçurent comme un frôlement, puis
virent une torche tomber à terre.
S’approchant, ils découvrirent avec un
haut-le-cœur deux marins du Dragon Vert en les soubresauts de la mort, la
gorge ouverte, et le sang qui sortait en abondance par cette blessure.
Le chirurgien du bord, qui se trouvait de l’expédition
des quarante, se pencha sur les deux corps et inspecta les blessures. Il se
releva enfin, très pâle, et souffla à Nissac :
— C’est là l’œuvre de dents, mais pas
celles d’un véritable loup.
Curieusement, ce premier sang chassa la
crainte et souda l’équipage.
Satisfait, Nissac fit aussitôt prendre de
nouvelles dispositions de combat. Ainsi, on ralentit considérablement la
progression mais on plaça trois soldats en fin de colonne, chacun un pistolet
en chaque main, et le trio marcha à reculons, éclairé par les torches de deux
autres.
L’amiral savait que le temps travaillait pour
lui. Ainsi, on y voyait mieux, l’effet des ossements s’atténuait et c’est à
peine si on les regardait encore. Enfin, les loups-garous devenaient des
ennemis comme les autres qu’il fallait tuer sauf à être tué.
Cependant, malgré les appels à la vigilance
que Nissac lançait régulièrement, faisant passer le mot jusqu’en fin de colonne,
un soldat et un marin, qui avaient cru entendre plainte en une galerie latérale,
s’approchèrent. Pourtant armés, ils furent aussitôt saisis en mains puissantes
tandis que des mâchoires avides se refermaient sur leurs carotides qu’elles
arrachèrent de leur logement en la gorge.
Mais cette fois, le seigneur Yasatsuna se
trouvant par hasard à proximité lança son poignard. On entendit cri étouffé.
Tout, alors, alla en grande vitesse. Telle, même,
que lorsque l’amiral arriva en courant, la messe était dite. Capturé, le
loup-garou blessé sous l’omoplate avait été immédiatement collé au mur et six
arquebusiers avaient fait feu à bout portant, lui arrachant les poumons.
Nissac tira le loup-garou par les pieds pour l’amener
en le passage puis, se baissant, il ôta la tête de loup d’un geste vif.
Il découvrit alors, non sans curiosité, le
visage de « Vert » qu’il ne connaissait point sous ce nom. L’ancien
tire-bourse n’avait en ses traits rien que de très ordinaire, à l’exception d’une
forte mâchoire encore rouge du sang de ses dernières victimes.
Nissac se redressa et, portant la voix :
— Vous allez tous défiler devant cette
charogne, un par un, et la bien observer. Ce n’est qu’un homme, rien qu’un
homme
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