Le Voleur de vent
Saint-Honoré.
Mais la rue de la Ferronnerie se resserre, tel un goulot de bouteille, en
raison de construction d’échoppes devant les maisons et de l’affleurement qu’on
y rencontre puisque les Halles sont proches. Le cocher royal, homme choisi à ce
poste pour sa légendaire adresse, conserva cependant tout son calme et le lourd
carrosse passa en la rue en rasant les bornes. Mais, bientôt, un incident entre
une charrette transportant tonneaux et une autre du foin obligea le cocher à
arrêter son attelage.
Profitant de cet incident, les valets de pied
quittèrent les portières pour couper à travers les charniers du cimetière des
Saints-Innocents et attendre le carrosse en un endroit où le passage s’élargit.
Inquiet, Henri quatrième se retourna sur son
siège et jeta un regard par la lucarne située à l’arrière.
À cet instant, tandis qu’une partie de la
petite escorte royale s’était portée en avant, Nissac, remontant la rue de la
Ferronnerie, arrivait en compagnie de la comtesse, Sousseyrac et Yasatsuna.
Habitué à juger des situations en quelques
secondes par sa longue pratique du commandement en les batailles, l’amiral de
Nissac comprit que tout allait se jouer là, et que tout était déjà perdu.
Le secteur, d’une maîtrise extrêmement
délicate, dépendait hélas de Charles Paray des Ormeaux et celui-ci, qui y
voyait si mal, ne donna aucun ordre concernant un homme grand et roux de
cheveux ainsi que de barbe qui allait droit vers le carrosse.
L’homme, vêtu à la flamande, fit un bond, posant
un pied sur le moyeu d’une des roues arrière et l’autre sur une borne.
Mais Nissac, dont le regard perçut le couteau
en la main de Ravaillac, puisque c’était lui, Nissac, donc, ne fut point sans
remarquer que la tête du roi fut vivement projetée vers l’avant et, aussitôt
après, en arrière.
Ravaillac porta le premier des trois coups qu’il
devait donner au roi et celui-là ne fut point d’extrême gravité, traversant la
manche du pourpoint, le pourpoint lui-même et la chemise mais n’atteignant rien
qui fût mortel bien que la lame achevât sa course entre la deuxième et la
troisième côte.
Étrangement, le roi saignait alors mais de la
gorge et de la tête !…
Plus curieusement encore, lui qui avait tant
guerroyé n’esquissa pas un geste de défense pour parer d’autres coups ou se
réfugier au fond du carrosse !…
Enfin, malgré sa position très favorable, le
duc d’Épernon ne bougea absolument pas, tel s’il se trouvait spectateur au
théâtre !…
Très vite, un autre coup de poignard atteignit
le roi plus bas et plus profondément, entre cinquième et sixième côte.
Le troisième coup traversa seulement la manche
du duc de Montbazon et arriva sans vigueur vers Henri quatrième.
En l’entourage du roi, on se jeta sur
Ravaillac pour le maîtriser mais déjà cela n’intéressait plus l’amiral de
Nissac. En cet aspect des choses, il savait ne pouvoir intervenir, et n’avait
guère à s’opposer au fait que monsieur de Montigny emmena Ravaillac à l’Hôtel
du duc de Retz, rue Saint-Honoré. et pas davantage à ce que le duc de La Force,
faisant baisser les mantelets des portières du carrosse, ordonna au cocher de
fendre la foule pour aller le plus vite qu’il fût possible au Louvre.
Nissac se trouvait engagé en une tout autre
action qui concernait ceux du « Deuxième Cercle » car comme on le
remarqua, et qu’il devait apparaître en les chroniques, à peine l’assassin
maîtrisé, un groupe d’hommes « exaltés et indignés » surgit l’épée à
la main en réclamant l’assassin. De fort mauvaise humeur, car la foule, les
retardant, les avait empêchés d’exécuter Ravaillac, ils tentèrent d’ameuter
celle-ci en lançant tous le même cri qu’on eût pu croire préparé à l’avance :
— Tue, tue !… Il faut qu’il meure !…
Et sans doute, arrivés plus tôt en le désordre,
auraient-ils pu approcher Ravaillac qu’ils voulaient occire mais il leur manqua
une à deux minutes, l’escorte royale s’étant réorganisée.
Empêchés, ils se dispersèrent en la foule, se
séparant les uns des autres pour suivre des chemins différents comme la chose
avait été prévue.
Si, concernant le pitoyable Ravaillac, l’amiral
avait jugé d’un regard cet homme halluciné et farouche, sans doute pauvre
instrument entre les mains de gens intelligents, il estimait en revanche n’en
avoir point achevé avec le
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