Le Voleur de vent
« Deuxième Cercle ».
Ceux-là devaient payer !… Ceux qui se
croyaient en cet instant habiles, ceux-là mêmes qu’en tous pays et de tout
temps on utilise pour tuer hommes qui tentent de modifier l’Histoire en le sens
du mieux, tel Henri quatrième avec l’Édit de Nantes, ceux-là moururent donc
tous, et comme des chiens enragés.
On attira certains sous des porches, d’autres
en des impasses et un coup de sabre suffit à leur fendre le crâne, parfois
jusqu’aux épaules. Eux qui auraient tué sans un frissonnement d’âme ce fol de
Ravaillac qu’ils ne connaissaient point trouvèrent en leurs ultimes instants
grande injustice à se voir prendre la vie par des inconnus.
Et celui qui fut tué en dernier, noyé à coups
de talon de botte en l’égout où il avait trouvé refuge, ne survécut pas même
une demi-heure au roi.
Le « Deuxième Cercle » était
entièrement décimé.
Observant le corps qui flottait sur le dos, Valenty,
ne pouvant réprimer sa colère, vida ses deux pistolets sur le cadavre.
À Paris, courait déjà la nouvelle de la mort
par le fer d’Henri quatrième. Des poètes, souvent fort médiocres, composaient
en la fièvre des épitaphes aux titres évocateurs : « Déploration »,
« Recueil de vers lugubres », « Discours lamentables »,…
Des boutiquiers se barricadaient derrière
leurs volets clos. Ceux de la religion réformée s’armaient. Les Parisiens en
colère débaptisèrent la rue de la Ferronnerie qui devint « rue de la
Félonie ».
Le comte de Nissac, informé qu’il n’était plus
de survivants en le « Deuxième Cercle », monta sans un mot sur son
grand cheval noir et aveugle et la comtesse devina qu’elle devait le laisser
aller seul, cet abandon qu’elle consentait étant en réalité une véritable
preuve d’amour.
Nissac suivit longuement les berges de la
rivière de Seine. Il observait sans les bien comprendre les Parisiens qui s’agitaient,
se querellaient ou tombaient en larmes dans les bras les uns des autres.
Les yeux gris et froids notaient des choses
grandes ou petites, tels les arcs de triomphe construits pour l’entrée de la
reine sacrée la veille et qui semblaient à présent si dérisoires.
L’amiral avait hâte de reprendre la mer, de
quitter cette ville, préférant, au fond, les barbaresques aux gens de Cour car
les premiers ne prennent point la peine de dissimuler qu’ils sont des assassins.
Il savait, en outre, que le nouveau pouvoir ne
chercherait surtout pas à le retenir.
Mais il estimait n’en avoir pas fini encore
avec les conjurés : le sommet était intact !
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L’amiral de Nissac et Isabelle allaient en
tête, suivis des officiers et d’une quarantaine d’hommes du Dragon Vert.
En effet, vingt demeuraient en l’hôtel de la
rue Galande, protégeant les lieux, surveillant les munitions et brûlant
certains papiers. Vingt autres se trouvaient encore en prison, arrêtés par le
lieutenant de police après qu’ils eurent été dénoncés par le jeune marin. Mais
le duc de Sully, dont le pouvoir n’était point encore entamé, s’employait à les
faire libérer. Enfin un des marins avait trouvé la mort lors de l’élimination
des régicides du « Deuxième Cercle » et un dernier était parti au
galop, afin de rapatrier les cent vingt hommes du Dragon Vert cantonnés
assez loin sur la route de Rouen en l’échelon de réserve.
« Le Finlandais », homme de piste de
la région des grands lacs nordiques, retrouvait sans peine le chemin parcouru
lorsqu’il suivait l’ambrosien et les siens depuis l’attentat à l’explosif de la
rue du Petit Lion qui avait coûté la vie au vicomte de Château-Meslay.
Après marche harassante sous le soleil, on
arriva en lieu de grande étrangeté qui créa malaise certain chez les marins et
soldats du Dragon Vert. On vit ainsi forêt pétrifiée, vapeur de soufre
sortant d’une rivière et très ancien village en ruine couvert d’une étrange
poussière grise solidifiée en épaisse croûte. Interrogé par le comte de Nissac,
« Le Finlandais », qui avait traversé le pays, répondit qu’on y
disait que des siècles plus tôt, une étoile serait tombée en ce lieu, damnant
la rivière, ravageant la végétation, le village et le château fort appelé
depuis « château des chimères » sans qu’on sache pour quelle raison
il était ainsi nommé.
Pendant ce temps, médecins
et chirurgiens pratiquaient l’autopsie du roi. Celui qui
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