Le Voleur de vent
réputation de lâcher ses proies, avait aussitôt entamé la poursuite.
Ainsi, par mer en furie et pluie d’apocalypse,
tandis que les voiles souffraient et que grinçait la mâture, le galion royal
doubla Gibraltar en grands risques pour déboucher en mer du Ponant où le flot
déchaîné donnait vision de fin du monde.
Mais à l’aube, le temps se mettant au beau, de
flûte il n’était point en la mer redevenue calme.
Une semaine passa ainsi, sans qu’on vît le
navire barbaresque et bientôt succéda une autre huitaine qui sembla
interminable aux vigies dont les yeux rougissaient à force de scruter l’horizon.
Tous, en l’équipage, pensaient alors qu’on ne
reverrait point cette flûte si agile qui méritait distinction, se trouvant
premier navire à échapper à une chasse lancée par Le Dragon Vert.
Officiers, soldats et marins plaignaient en
grande sincérité le vice-amiral qui, dormant quatre heures par nuit, demeurait
tout le reste du temps sur la dunette, les mains aux phalanges blanchissant sur
la rambarde, ses yeux gris en étrange fixité ne quittant jamais la ligne d’horizon.
Et si on le plaignait, on ne l’en admirait pas
moins tant spectacle de la volonté humaine, en tous temps de l’histoire et tous
lieux de la planète, est chose réconfortante qui donne espoir à ceux que le
doute tenaille en manière d’habitude.
En cette atmosphère émolliente où le
renoncement gagnait chaque jour du terrain, et tandis qu’on passait au large
des îles Shetland, il ne se trouvait que le second, Paray des Ormeaux, pour
sourire en sa barbe grisonnante :
— Cette maudite flûte ne lui échappera
point !… Il la suit au flair, en son instinct de chasseur des mers et
ainsi certains Anglais nomment-ils notre amiral : « Seas Hunter » !…
Le jeune lieutenant Fey des Étangs, en grande
soif d’apprendre, demanda alors :
— Mais ?… Navire n’a point d’odeur !
Le vieil officier leva sourcil de
désapprobation sur son cadet et répliqua :
— Alors c’est qu’il la voit !… Au-delà
de l’horizon et des choses visibles par les yeux, il la voit, cette damnée
flûte !
Il n’avait point achevé de dire le dernier mot
que la vigie cria :
— Navire droit devant !
Et, sans qu’il faille longtemps tergiverser
sur la chose, c’est bien la flûte barbaresque qui apparut et déjà, finement, elle
tentait l’esquive.
Paray des Ormeaux conserva son sourire, indifférent
aux adroites dérobades de l’adversaire :
— Ne vous l’avais-je point dit ?… Et
maintenant, c’est comme si monsieur de Nissac avait planté ses dents en la
viande : il en a pris le goût et aucune force au monde, aucune science du
capitaine barbare – que ne fera échouer la poursuite.
Il en fut ainsi.
Monsieur de Nissac, qu’on disait « le
Voleur de Vent », sut placer Le Dragon Vert avec finesse qui ne fut
pas en la manière du capitaine ennemi, pourtant fort habile.
L’écart se réduisait à chaque quart d’heure
mais le barbaresque, dont on sut plus tard qu’il fut crétois, lutta
admirablement pour durer car s’il tenait jusqu’à la nuit, il parviendrait à s’échapper
à la faveur des ténèbres.
Mais l’entreprise échoua en cela que monsieur
de Nissac avait fait mettre toute la voile et serrait le vent au plus près, quels
que soient les caprices de celui-ci qu’il semblait prévoir à l’avance par
étrange magie qui dut désemparer le capitaine barbaresque en son esprit, le
privant par là même d’une partie de ses capacités de jugement.
Cependant, le Crétois se trouvait l’héritier d’un
grand peuple de marins qui savait tendre voile à une époque où, en France, il n’était
ni marine ni royaume, mais barbare vivant en les cavernes. À quoi on eût
cependant pu répondre qu’un ancêtre de Nissac, aux croisades, avait épousé et
ramené en France jeune fille d’une noble et vieille famille carthaginoise aux
ramifications phéniciennes et que ces peuples anciens de Carthage et de
Phénicie n’avaient rien à envier aux Grecs en l’art de la navigation. Ce qui
faisait des Nissac, peut-être, les exceptionnels marins que l’on sait.
Avec renversante audace, qui en aurait surpris
plus d’un, le barbaresque se voyant perdu fit demi-tour complet, la tête
remplaçant vivement le cul, et fonça tel taureau furieux sur Le Dragon Vert. Mais accomplissant cette manœuvre des plus surprenantes, on vit en le même
temps canonniers barbaresques
Weitere Kostenlose Bücher