Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
Quant à Beausert, ce n’est probablement pas mon vrai nom. » L’homme qui me fait face avait témoigné, il y a une quinzaine d’années, dans un documentaire consacré au Lebensborn . Le film racontait que sa mère était une étudiante française ayant accouché à Lamorlaye. Mais cette information s’avère finalement elle aussi erronée.
Les premières années de la vie de Walter Beausert restèrent longtemps une énigme. Pour la résoudre, cet ancien technicien en électronique a mené sa propre enquête. Une entreprise colossale puisqu’il a parcouru des milliers de kilomètres entre la France, la Belgique et l’Allemagne. L’élément le plus troublant de son histoire, un fait si incroyable qu’il prêterait presque à rire, monsieur Beausert ne me l’a pas raconté lors de notre première rencontre.
Ce jour-là, nous sommes installés dans le séjour de sa maison, un chalet de bois et de béton, à Nançois-le-Grand, dans la Meuse. C’est un hameau de 60 habitants, niché entre coteaux et bosquets. La campagne alentour est tendrement vallonnée. Dans les prés, des troupeaux de moutons marqués d’une tache de couleur s’écartent du bord de la route à l’approche d’une voiture. Quelques éoliennes montent la garde sur les hauteurs.
Monsieur Beausert a le cheveu ras. Son regard bleu clair, protégé par des lunettes d’écaille rectangulaires, est légèrement fixe, conséquence d’une vieille blessure à l’œil. Walter est un enfant de l’Assistance publique. Dans l’un des premiers rapports le concernant, qu’il me montrera peu après, on peut lire : « Timide, intelligent, comprend le français. Affectueux. Doux. Demande à être compris. » Entre l’âge de 5 ans et 13 ans, il fut placé chez une veuve, madame Lemasson, à Loxéville, un village des environs. L’instituteur le traitait de « fils de Boche ». Ensuite, ce furent des années d’orphelinat, à la fondation Raymond-Poincaré, de Sampigny, à quinze kilomètres de Loxéville. Là, un autre instituteur, monsieur Lagravière, le prend sous sa protection. « Il m’a donné confiance en moi », dit simplement Walter. C’est seulement à sa majorité, à 21 ans – nous sommes en 1965 – que le jeune homme commence à chercher d’où il vient. Nadine, qu’il épouse cette même année, le pousse dans ses recherches. Elle le soutiendra pendant plus de quarante ans, jusqu’à son décès, quelques mois avant que je le rencontre.
Walter n’a pu consulter son dossier personnel qu’en 1992, lorsque l’administration française a assoupli les « conditions d’accès aux origines » pour les orphelins. Walter Beausert y apprend qu’il a transité à Steinhöring, en Allemagne, en 1945, avant d’être rapatrié par les services français à Commercy (Meuse), en 1946, et confié à l’Assistance publique. Il sollicitera alors le Service international de recherches de la Croix-Rouge, à Bad Arolsen. La réponse arrivera par courrier, deux ans plus tard. Voici ce qu’il lit : « Né le 1.1.1944 au home “ Lebensborn ” de Wégimont, Belgique (mère : française, de Paris, étudiante en médecine), a séjourné à des périodes indéterminées au home Lebensborn Westwald en France […] ; confié le 17 août 1945 par l’office municipal de la jeunesse de Munich à l’UNRRA [agence des Nations Unies pour le secours et la reconstruction] à Indersdorf et rapatrié en France le 17 juillet 1946. »
« Quand j’ai lu le mot Lebensborn , c’est comme si j’avais reçu un pavé en pleine figure… » raconte Walter. Il tire une photo de l’un des volumineux dossiers posés sur la table. L’image a été prise au couvent d’Indersdorf, en 1945. C’est là, au nord-ouest de Munich, à une douzaine de kilomètres du camp de concentration de Dachau, qu’une équipe de l’UNRRA avait pris ses quartiers pour recueillir les enfants isolés, notamment ceux de Steinhöring. Sur la photo, debout au milieu d’une grande pièce, une femme en uniforme américain montre un registre à une religieuse. Au sol, huit bambins jouent sur une couverture à carreaux. Dans le coin en bas à droite de l’image, un blondinet blessé à l’œil fixe le photographe. C’est lui.
Avec l’aide de Nadine, Walter a remué ciel et terre. En 1994, grâce à un avis de recherches lancé en Belgique, il a retrouvé trois femmes, Cecilia, Marie et Mariette, qui avaient travaillé avec sa mère, au château de Wégimont.
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