Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
plusieurs autres, elle avait été envoyée par erreur en France. Finalement, le 20 novembre 1946, Helga, deux ans et demi, avait été rendue à sa mère. Mais aussi à son père, car Mariette l’avait épousé. L’homme, Peter B., n’était pas un Allemand, mais un SS belge. En 1941, il s’était engagé dans la Freiwillige Legion Flandern , la légion des volontaires SS « Flandre » 2 . Peter B. avait vraisemblablement été blessé au début de 1943, dans les environs de Léningrad : rapatrié en Belgique, il a été admis à l’hôpital Brugmann de Bruxelles cette année-là. Son nom ne figure pas dans les effectifs de la seconde formation SS flamande qui s’est battue jusqu’en mai 1945. Après-guerre, Peter B. habitait à Bruxelles, près du jardin botanique, avec sa femme, Mariette, et leur fillette, Helga. Contrairement à des milliers de collaborateurs belges, il n’avait manifestement pas été inquiété à la Libération.
Une question revient à la lumière de ces dossiers : pourquoi certains enfants belges furent envoyés en France ? Il est difficile aujourd’hui d’imaginer le casse-tête auquel furent confrontées les équipes des Nations Unies en 1945. Dans les décombres du Troisième Reich, des dizaines de milliers d’orphelins, de gosses abandonnés ou égarés, étaient livrés à eux-mêmes. Des Allemands, bien sûr, mais aussi des enfants originaires de toute l’Europe occupée. Ceux des travailleurs ou travailleuses volontaires ou forcés, parfois nés d’une union avec un Allemand. Ceux des déportés, notamment les survivants juifs des camps d’extermination, évacués par la SS durant les « Marches de la mort », juste avant l’arrivée de l’Armée rouge. Il y avait aussi ces milliers de petits « aryens » kidnappés en Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie ou Yougoslavie… Au milieu de cette foule d’enfants égarés, les pensionnaires du Lebensborn étaient les moins nombreux. Mais les plus difficiles à identifier, en particulier ceux provenant de l’étranger. Nous savons déjà pourquoi : parents ou lieux de naissance inconnus, noms modifiés et à l’orthographe incertaine, prénoms allemands, etc. Mais un autre facteur a compliqué l’affaire : leur âge. Certains étaient encore des bébés, d’autres parlaient à peine. Beaucoup d’entre eux avaient uniquement entendu parler l’allemand lors des mois précédents. Comment savoir dans quelle langue ils babillaient ? La confusion s’est accrue avec les enfants nés d’une mère wallonne. Ceux qui portaient un nom francophone ou réagissaient à des mots de Français pouvaient facilement se voir attribuer cette nationalité, et cela à tort. C’est ainsi que Walter, Gisèle, Georges, Dominique et d’autres ont été dirigés vers la France. La malchance s’en est également mêlée. Contrairement à Lamorlaye, Wégimont n’est pas une commune. Le château n’était pas signalé sur les cartes géographiques, ni répertorié sous ce nom dans les annuaires téléphoniques. Pendant plusieurs mois, les services Alliés ont spéculé sur la nature du lieu. Le nom le plus approchant était celui d’un village des Vosges : Deycimont. Le maire de l’endroit a été sollicité à plusieurs reprises avant que l’erreur soit mise en évidence. Quelques enfants de Wégimont avaient déjà été remis à l’Assistance publique française…
Au terme d’une journée et demie passée dans la salle de lecture, j’étais submergé d’informations. Je n’avais épluché qu’une vingtaine de cas, mais photographié des centaines de documents. Une archiviste avait effectué beaucoup d’autres reproductions à partir de microfilms. Par la suite, je reçus des centaines de fichiers numériques. Une évidence s’imposait : il était impensable de retrouver chacun des enfants nés à Wégimont et Lamorlaye, ni même de reconstituer chaque histoire. Il fallait se concentrer sur quelques personnes, comme je l’avais fait avec Walter, Gisèle ou Erwin. Par contre, le destin commun de ces gosses oubliés et leurs tribulations de manoirs en nurseries SS commençaient à s’éclairer.
Avant de rentrer à Paris, je devais rendre visite à l’historien Georg Lilienthal, l’auteur de Lebensborn, e. V. 3 , le livre de référence sur le sujet, paru en 1985 en Allemagne. L’ouvrage n’a jamais été traduit en français, pas même en anglais. Nous avions rendez-vous sur son lieu de travail, à
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