Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
pouponnière de Wégimont traversera des périodes de crise, mais les premiers mois sont encourageants. En mai, l’infirmière en chef Petrowska est appelée à prendre la direction du nouveau foyer Moselland , qui va ouvrir au Luxembourg voisin. Sa remplaçante s’appelle Lydia Vorsatz. Elle a 32 ans, est originaire de Brême et elle est venue avec sa petite fille âgée de 16 mois, Karin. Depuis Steinhöring, où il règne sur son établissement modèle, le général Gregor Ebner prodigue quelques conseils à la nouvelle arrivante : « Vous devez essayer de gagner la confiance des mères et des employées de votre foyer. On ne peut gérer des gens avec succès que si on gagne leur confiance. Prêtez toujours une oreille attentive aux soucis des personnes. » Plus loin, il ajoute : « Veillez à ce que votre joli Heim soit toujours présentable. Comme vous l’avez vu à Steinhöring, nous sommes très soucieux de la propreté. […] L’ordre et la propreté sont la carte de visite de notre établissement. »
À la suite de la petite Hannelore, les naissances se succèdent au château : Heidrun, Frank, Uwe, Ingeborg au mois d’avril, puis Rudolf, Peter, Anika… Les prénoms des garçons font souvent référence aux héros des épopées guerrières nordiques. Ceux des filles évoquent la pudeur, la dignité, la respectabilité : elles seront à leur tour de fières mères nourricières. Ces prénoms renvoient à l’un des plus stupéfiants rituels inventés par les maîtres de la SS : la « bénédiction du nom ». Car, parallèlement à son entreprise messianique de créer une race supérieure, Himmler rêve de soustraire le peuple allemand à l’influence du Christianisme. La morale sexuelle et la sanctification du mariage par l’Église sont des obstacles au programme nataliste du Reichsführer-SS . Il ne l’exprime pas publiquement, mais il souhaite l’avènement d’une religion « germanique » païenne, célébrant le culte des ancêtres. Himmler, piqué d’occultisme et de mysticisme aryen, a d’ailleurs financé de nombreuses missions archéologiques, philologiques ou anthropologiques, jusqu’au Tibet, pour démontrer l’existence d’une ancienne caste germanique-nordique, d’essence supérieure. L’Ordre noir du Reich doit évidemment en être la réincarnation. Himmler fait ainsi établir un ensemble de fêtes, de rites et symboles s’inspirant des vieilles croyances nordiques. Et la « bénédiction du nom » n’est rien d’autre qu’un baptême SS… Dans une pièce, on dresse un autel recouvert d’un drapeau à croix gammée sur lequel est placé un portrait d’Adolf Hitler. Derrière l’autel, le mur est décoré de tentures représentant des runes nordiques. Quelques gardes portent un étendard SS. La cérémonie est célébrée par un officier. Devant les familles réunies, le père énonce le prénom du nourrisson et remercie la mère. Un « chandelier de vie » est offert au nouveau-né. Si le père est absent, ce qui est généralement le cas au Lebensborn , c’est le directeur du foyer qui le remplace. De son côté, le parrain SS de l’enfant s’engage à surveiller son éducation. Le petit est ensuite présenté devant l’autel. L’assemblée entonne un chant reprenant des extraits de Mein Kampf . Le maître de cérémonie présente une dague SS au-dessus de l’enfant, touche son front avec la lame et récite ce credo :
« Nous croyons au Dieu de l’univers
Et à la transmission de notre sang allemand
Qui, éternellement jeune, croît de la terre allemande
Nous croyons au peuple, gardien du sang
Et au Führer, que Dieu nous a envoyé. »
Par ce baptême, l’enfant est reconnu comme un membre du clan SS. Il appartient à une élite « immortelle », liée à jamais à Hitler et au National-socialisme. À ma connaissance, il n’y eut pas de naissance le 7 octobre 1943 au foyer Ardennen, si bien qu’aucun des petits ne put avoir pour parrain Heinrich Himmler en personne. Mais les « bénédictions du nom » s’y sont bel et bien déroulées. Scandalisé, le père Brabant, curé-doyen de Soumagne, le rapporte dans son journal personnel, en avril 1944 : « Il se fait beaucoup de baptêmes militaires, nazistes [sic] et païens. Pas un seul chrétien. Les mères sont libres, dit-on, de garder leur enfant. » À la belle saison, les cérémonies se déroulent dans la cour intérieure du château. Toute la maisonnée est
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