Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
à Lamorlaye, comme dans les autres maternités. La plupart des prénoms attribués sont germaniques : Helga, Ingrid, Werner, Ute ou Erwin… Quelques autres non, comme Pierre et Jean-Pierre. Du moins, c’est ainsi qu’ils figurent aux archives de la Croix-Rouge de Bad Arolsen. Leur mère, tout en acceptant un prénom allemand, a peut-être continué à utiliser leur « petit nom » français dans l’intimité… On remarque aussi que la durée de séjour des parturientes à Lamorlaye – six semaines avant et après l’accouchement – est inférieure à la moyenne habituelle du Lebensborn . Cela est probablement lié à la tournure des événements au printemps 1944 : l’avenir est incertain et les règles s’adaptent à la réalité de la guerre.
Sur les 23 enfants qui ont vu le jour ou qui ont vécu quelque temps à Westwald , j’en ai identifié neuf avec certitude. Le premier d’entre eux est une petite fille : Édith de V. Elle est née le 11 avril. Sa mère est française. L’identité de son père est totalement inconnue. Elle est emmenée en Allemagne à l’été 1944 et arrivera à Steinhöring le 3 avril 1945. Elle est ensuite transférée le 17 octobre à Indersdorf, où elle est soignée par une équipe des Nations Unies. Édith a été rapatriée en France, durant l’été 1946. On la retrouve sur la liste des 17 enfants qui sont confiés à ce moment-là à l’Assistance publique de la Meuse. Quelqu’un a modifié son prénom : elle s’appelle maintenant Georgette. On peut se demander pourquoi, dans la mesure où Édith ne sonne pas particulièrement allemand. Voila tout ce que je sais à son sujet. Enfin, pas tout à fait. Ce que je sais aussi, c’est que sur le portrait d’elle qui a été réalisé par les Alliés en 1945, on voit un joli bébé potelé, les cheveux clairs et courts, le regard concentré sur une personne ou un objet destiné à attirer son attention pendant qu’on la photographie. Je peux émettre une simple hypothèse. Édith étant née le 11 avril 1944, sa mère a dû arriver à la maternité aux premiers jours du mois de mars et en repartir durant la dernière semaine de mai. Sachant ce qui lui est arrivé par la suite, Édith a probablement été abandonnée à Westwald par sa mère.
Une visite sur place permet de mieux comprendre l’organisation de la pouponnière. Il suffit de cinquante minutes de voiture depuis Paris pour se rendre à Lamorlaye. L’ancien « château Menier », que la famille du chocolatier avait baptisé « Tournebride », y est aujourd’hui connu sous l’appellation de manoir de Bois-Larris. Et, plus encore, pour sa fonction de Centre de réhabilitation et de formation de la Croix-Rouge. Il se trouve à quelques centaines de mètres du centre-ville actuel, sur un coteau qui surplombe toute la zone hippique de Lamorlaye-Chantilly, avec ses haras, pistes d’entraînement et chemins équestres. Le manoir, accessible par une unique route en impasse, est entouré de bois. Difficile de trouver endroit plus discret. Hormis les locaux modernes de la Croix-Rouge, accolés au manoir, la configuration des lieux est quasi identique à ce qu’elle était pendant la guerre.
En 1944, le domaine comprend deux corps de bâtiment, distants d’une cinquantaine de mètres et séparés par un grand bassin entouré de pelouses – remplacé de nos jours par un terrain de basket. Près de l’ancien porche d’entrée, se trouvent la maison du garde, les communs et les écuries. Ce sont deux ensembles distincts, constitués de petits pavillons, à toit pentu et fenêtres mansardées, regroupés autour d’une tourelle à clocheton. Les aiguilles de la pendule se sont arrêtées à 1 h 30. C’est à coup sûr ici que logent les membres de la Schutzpolizei chargés de la surveillance, ainsi qu’une partie du personnel. De l’autre côté du bassin central, voici le manoir. Une grande demeure d’une vingtaine de pièces, de style anglo-normand, en pierre blanche et brique rouge. C’est là que vivent les mères et les nouveau-nés, ainsi que, très probablement, le couple Grünwald et l’adjudant Engelien. La porte d’entrée est surmontée d’une moulure représentant un cerf courant. Au rez-de-chaussée, une pièce à bow-window abrite une large salle à manger. Sur trois façades du manoir, des pignons mansardés, aux colombages de bois peint en bleu et petites fenêtres à croisillons, renforcent le caractère très british
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