Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
du logis. À l’automne, dans le parc, quand les arbres perdent leur feuillage, la vue porte au-delà du vallon, jusqu’au coteau d’en face, au sud, vers Paris.
Un charme suranné se dégage des lieux. On imagine très bien, avant-guerre, les retours de chasse, en fin de matinée, les chevaux qui s’ébrouent et le palefrenier affairé pendant que Monsieur se dirige à grandes enjambées vers le logis ; les après-midi qui s’étirent en longueur, les promenades dans le parc et les sous-bois ; la cheminée qui crépite au salon rehaussé de lambris. « Tournebride » porte bien son nom. Il est plus difficile de se le représenter en Westwald , couveuse pour la super-race nordique.
Une autre réflexion s’impose quand on parcourt les allées gravillonnées, bordées de pelouse et de massifs arborés : même s’ils n’ont séjourné ici que six mois, quasiment jour pour jour, les SS ont forcément employé du personnel civil, homme à tout faire, jardinier, femmes de ménage, cuisinière… Pourtant, je le répète, personne ne se souvient de cela dans les environs. Une association locale, Alma (Association Lamorlaye mémoire accueil), qui collecte les éléments disponibles sur le Lebensborn , n’a pu rassembler que quelques témoignages oraux très ténus sur cette époque : « La propriété était sévèrement gardée, il y avait des chiens policiers et il était interdit de s’en approcher », « même les cavaliers allemands cantonnés dans les environs n’avaient pas le droit d’y aller », « on aurait proposé à un habitant de Lamorlaye, grand, blond, aux yeux bleus, de jouer le rôle de “père” : il a refusé, ce qui lui a valu bien des tourments »… Cette dernière réminiscence est évidemment totalement fantaisiste. Un ancien chroniqueur hippique, Michel Bouchet, qui habite toujours dans les environs, m’a pourtant affirmé que « tout le monde savait qu’il y avait une nursery aryenne en haut de la côte de Chantilly ». Son père était vétérinaire équin et il avait fait la connaissance d’un confrère allemand. « Il y a eu jusqu’à 8 000 chevaux de la Wehrmacht et de la SS par ici », souligne monsieur Bouchet. Or, le praticien allemand avait expliqué à son père le rôle de l’étrange maternité. « C’était de l’élevage, une sorte de haras », m’a encore dit mon interlocuteur.
Pour percevoir la réalité quotidienne à Westwald , il faut assembler un puzzle incomplet d’éléments disparates et effacés par le temps : le silence des mères « coupables », la disparition des pères et l’impossibilité pour des enfants, âgés de quelques mois à l’époque, de se souvenir de quoi que ce soit. Quant aux maîtres du jeu, ils se sont ingéniés à brouiller les pistes ; personne d’autre qu’eux ne devait être en mesure de reconstituer le tableau d’ensemble. Ils ont cependant – on le sait – laissé des traces, en l’occurrence une vingtaine de courriers et télégrammes échangés entre Munich et Lamorlaye. Avec toujours cette obsession nazie de tout noter, les crimes les plus atroces comme les détails les plus insignifiants. Au bout du compte, c’est Gregor Ebner, le médecin-général SS, l’accoucheur en chef du Lebensborn , qui nous fournit le plus de précisions. Le 24 avril 1944, il effectue une visite d’inspection à Westwald . Ebner va tirer de sa venue un rapport de trois pages dactylographiées. Compte tenu de ce que ce qu’il relate, on peut présumer qu’il est resté toute la journée au manoir et qu’il s’est entretenu avec la quasi-totalité du personnel. Voici ce qu’on peut y lire : « Le foyer fait dans l’ensemble bonne impression, de par son architecture et sa décoration. Il est digne des autres structures existantes du Lebensborn . Les chambres non attribuées ont été correctement reconverties et servent de salle d’accouchement. Une activité impressionnante règne plus particulièrement dans les pièces du rez-de-chaussée : salle de visite, chambre des mères et réfectoire. Ces dernières [les chambres] manquent toutefois de couleur et d’images accrochées au mur. » On apprend ainsi que les parturientes peuvent recevoir des visites, ce qui, dans, de nombreux établissements, a créé des tensions entre filles-mères et épouses d’officiers… Gregor Ebner passe ensuite en revue les pièces du manoir. « Les meubles achetés par le sergent SS Grünwald sont de très
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