Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
bien intégrées. Les quelques enfants présents sont en bonne santé, seul l’un d’entre eux laisse apparaître une légère dégénérescence. » De quoi souffre ce bébé ? Que lui est-il arrivé par la suite ? Les autres documents ne le disent pas, mais on peut craindre le pire. À tout le moins, il a dû faire l’objet d’une surveillance accrue… Son sort a peut-être été tranché par Max Sollmann et Heinrich Himmler, à qui le rapport du Dr Ebner est bien sûr transmis.
Trois des six femmes citées par le général Ebner sont identifiables à coup sûr. Il y a tout d’abord mademoiselle de V., qui a accouché deux semaines auparavant : sa fille, Édith, est née le 11 avril. La deuxième est Élisabeth Grinski, 33 ans. C’est la mère d’Erwin Grinski. Elle a dû s’installer au foyer quasiment au même moment. Il est possible qu’elle ait été accompagnée à son arrivée par Erwin Schmitt, le père de l’enfant. Le petit Erwin, qui portera donc le même prénom, viendra au monde le 21 mai. Ils partiront tous les trois à Dortmund, au début du mois de juillet, si l’on se fie au règlement en vigueur, ou peut-être un peu plus tard. La troisième femme s’appelle Agnès B. Elle n’a pas encore 21 ans. Elle est enceinte du sous-lieutenant SS Peter Dorscht. Et ce n’est pas le fruit d’une rencontre d’un soir. À la fin du mois d’avril, avant même la naissance de l’enfant, qui se produira le 7 mai suivant, Agnès B. entame une démarche officielle auprès de Gregor Ebner. Une démarche singulière que le médecin-chef du Lebensborn répercute aussitôt auprès de Günther Tesch, son jeune et brillant collègue du service juridique de l’organisation :
« Madame Agnès B. souhaiterait savoir s’il est possible que l’enfant qu’elle attend porte le nom de son père : Dorscht. Le père est d’accord et a consigné ce désir par écrit. J’ai expliqué à madame B. que le changement de nom ne pourrait pas être effectué pendant la durée de la guerre, mais il serait souhaitable de savoir, dans la mesure où la mère porte un nom français, s’il est dans l’intérêt de l’enfant qu’il reçoive un nom allemand. Voulez-vous me préciser si, à sa naissance, l’enfant recevra la nationalité française ou allemande ? La mère de l’enfant est française. Elle a déjà effectué une demande de naturalisation en 1940. Sa mère était allemande, son père français. Elle est elle-même une enfant illégitime. » L’affaire semble être un cas d’école. Il rappelle tout d’abord l’une des règles édictées par le Lebensborn : le changement de nom d’un enfant, qui correspond d’ordinaire à une adoption définitive, est renvoyé à l’après-guerre. La raison ? Il convient d’attendre que la situation de la famille d’accueil soit « stabilisée » ; autrement dit s’assurer que le nouveau père n’a pas été tué au front entre-temps. Mais le « dossier Agnès B. » souligne plus encore la logique effarante de l’organisation L. Kidnapper des enfants polonais « racialement intéressants », les arracher à leurs parents voués à la mort, falsifier l’identité d’orphelins en les déclarant « enfants trouvés », les germaniser par la force dans des pensionnats-prisons : c’est la routine. En revanche, voir une Française demander volontairement la nationalité allemande, pour elle et son enfant, et surtout que ce dernier puisse porter le nom de son père, voilà qui mérite examen. On sent bien dans l’expression de Gregor Ebner à propos de la jeune femme – « elle-même une fille illégitime » – que le futur bébé n’est pas un enfant comme les autres. Est-ce parce que sa mère est française, en quelque sorte pas assez germanique ? Possible. Mais, avant tout, pour les dignitaires de la SS, la procréation n’est plus affaire de sentiment ni de choix personnel, c’est un projet contrôlé par des « spécialistes 5 ».
Au mois de mai 1944, les armées du Reich reculent à l’est. Hitler s’apprête à donner l’autorisation d’évacuer la Crimée. En Italie, les Alliés menacent la ligne de défense Gustav , à un peu plus de cent kilomètres au sud de Rome. En France, la Résistance multiplie les attaques. Les usines allemandes et les voies de communication sont bombardées quasiment chaque jour. Du coup, les maternités SS connaissent des difficultés d’approvisionnement et leurs premières pénuries.
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