Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
Gregor Ebner en fait part au capitaine SS Wehner, le responsable des services administratifs de l’organisation L : « La plupart des foyers se plaignent de ne plus avoir de solution vitaminée pour les enfants, elles en ont un besoin urgent. Je souhaite savoir si ces vitamines peuvent leur être fournies. Le foyer Westwald , près de Paris, manque d’allumettes et vous prie de lui en envoyer une quantité importante. De la même manière, ce foyer manque de produits alimentaires de toutes sortes, comme la semoule, le riz, les flocons d’avoine et le cacao. Il a également un besoin urgent de crayons de couleurs pour dessiner des courbes [de température des nourrissons]. »
Malgré ces besoins de première nécessité, le 24 mai, le très discret responsable du foyer de Lamorlaye Günther Fritze projette une curieuse expédition. En compagnie du capitaine Zwickler, rattaché à l’état-major de la SS à Paris, il compte se rendre dans les îles anglo-normandes pour procéder à des examens raciaux. À Jersey et Guernesey, 60 à 80 femmes sont enceintes ou ont déjà accouché d’un soldat allemand. Les enfants présentent, semble-t-il, un « type nordique » irréprochable… Le capitaine Zwickler avait d’ailleurs mené une mission équivalente dans le Sud de la France, deux mois auparavant, afin d’examiner « plusieurs centaines d’orphelins ». Aucun document écrit ne l’évoque, mais quelques-uns de ces pauvres gosses ont pu être dirigés vers Lamorlaye. C’est en tout cas l’une des fonctions potentielles du foyer Westwald . Bien évidemment, Fritze et Zwickler n’auront pas le temps de visiter les îles anglo-normandes. Le 6 juin, le débarquement allié enterre définitivement leur projet. Les jours de la maternité SS en France sont comptés.
La nursery de la « forêt de l’Ouest » enregistre cependant l’arrivée de nouveaux pensionnaires. Le petit Werner T., dont la mère est française. Helga M., née le 20 juin, dont j’ai déjà évoqué le cas. Sa mère, Mariette, est la compagne d’un SS flamand, Peter B. Elle est arrivée de Gand, à 250 kilomètres au nord de Lamorlaye, pour accoucher dans l’anonymat. Il y a aussi Gerard S., dont le dossier, très sommaire, laisse entendre qu’il pourrait être le fils de deux Français. Est-ce l’enfant illégitime d’une employée logeant sur place ? Sinon, pourquoi est-il né ici ? Là encore, aucune explication.
Le 31 juillet, Westwald enregistre une ultime naissance : celle d’Ingrid de Fouw, la jeune femme qui, des années plus tard, croira être née dans un camp de concentration en Allemagne. Elle ne reverra jamais ses parents.
Le 7 août, les troupes allemandes lancent leur dernière grande contre-offensive en Normandie, l’opération Lüttich . C’est un échec. Les blindés de Patton sont maintenant à une soixantaine de kilomètres du Mans. Le même jour, Hitler nomme le général von Choltitz gouverneur militaire de la place de Paris, en remplacement de von Stülpnagel, impliqué dans l’attentat contre le Führer. Von Choltitz va prendre ses quartiers à l’hôtel Meurice, en face du jardin des Tuileries. À quelques centaines de mètres de là, dans son bureau écrasé de chaleur, au numéro 87 de l’avenue Raymond-Poincaré, le commandant Günther Fritze rédige un télégramme à l’attention de Heinrich Himmler : « Transfert foyer Westwald sur ordre du général de corps d’armée probablement le 10 août sous direction du sous-lieutenant SS Decker – Équipement du foyer excepté les meubles sera transporté par train jusqu’à Munich – Sous-lieutenant Decker annonce arrivée à Wiesbaden. »
1 - Madame Huntziger préside l’association « La famille du prisonnier de guerre ». Or cette œuvre caritative aide de nombreuses femmes de prisonniers qui ont eu un enfant avec un soldat allemand…
2 - L’existence des deux établissements est mentionnée dans Naître ennemi, les enfants de couples franco-allemands nés pendant la Seconde Guerre mondiale , de Fabrice Virgili (Payot, 2009).
3 - Elle n’a aucun rapport de parenté avec le sergent SS de Lamorlaye.
4 - Hochland , la « Haute-terre », est le nom de la maison-mère du Lebensborn , ouverte en 1936 à Steinhöring, en Bavière.
5 - Il n’empêche : la demande est insistante. Le père, le sous-lieutenant SS Peter Dorscht, né le 10 août 1904 à Geisfeld (Rhénanie), a lui aussi écrit à Ebner.
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