Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
mère, un an plus tard, les jumelles Ursula et Elsa de C., Pierre S., Hannelore S., qui a été adoptée par une famille allemande, Rita A., Anika, Hans Georg… La plus « âgée » d’entre eux, Christiane, a deux ans et demi. Sa mère, une Française, l’avait confiée à Wégimont, avant de s’enfuir en Allemagne, puis au Danemark. Elle a retrouvé sa fille un an et demi plus tard. Nous y reviendrons.
Ce 1 er septembre 1944, quatre ou cinq mères ont, semble-t-il, été autorisées à monter dans les véhicules qui attendent devant le château, car leur arrivée à Wiesbaden est mentionnée dans les archives. Parmi elles, il y a deux infirmières allemandes, qui résidaient à Wégimont avec leur bébé. Les autres étaient peut-être des épouses de SS ayant accouché depuis peu sur place. Vers midi, donc, sous les yeux des employés et de quelques mères belges effondrées, la troupe déguerpit sans prendre congé. La maternité Ardennen n’existe plus. Quand ils installeront un QG provisoire au château, une semaine plus tard, les Américains seront sidérés par le récit des habitants de Soumagne. Ils surnommeront l’endroit la « baby factory »…
Le convoi dirigé par le Sturmbannführer-SS Walter Lang a un peu moins de 300 kilomètres à parcourir. Dans d’autres circonstances, ce pourrait être une agréable villégiature. Aachen (Aix-la-Chapelle) et ses eaux thermales sont à 60 kilomètres. Ensuite, la route serpente entre les plaines et les forêts de Rhénanie, débouche sur le Rhin que l’on peut suivre jusqu’à Coblence. Il ne reste qu’à traverser les paysages vallonnés des monts Taunus pour parvenir jusqu’à Wiesbaden. Mais on imagine l’atmosphère qui règne dans les véhicules : une vingtaine de nourrissons et de marmots en pleurs, quelques jeunes mères égarées, des infirmières sur les nerfs et des officiers SS qui battent piteusement en retraite… À cela, s’ajoute une menace, invisible. L’aviation alliée pilonne les gares de triage et les nœuds ferroviaires de la vallée du Rhin.
À Wiesbaden, l’arrivée de ces « réfugiés » suscite tout à la fois curiosité et inquiétude. Les pensionnaires ignoraient l’existence d’une maternité du Lebensborn en Belgique et, plus encore, dans les environs de Paris. Mais, l’installation de cinq mères et d’une vingtaine d’enfants supplémentaires au foyer signifie surtout que, malgré les annonces rassurantes, les choses tournent vraiment mal.
Il faut se serrer un peu pour accueillir tout ce petit monde. La maternité Taunus est pourtant confortable. C’est une grande demeure de quatre étages – le dernier comprend des chambres mansardées – d’une trentaine de mètres de façade. Devant l’entrée, il y a une immense pelouse. Tout autour, à flanc de colline, la campagne. La vue s’étend sur le massif boisé du Taunus où, selon la légende, les walkyries et les anciens dieux germaniques aimaient à se réunir.
Jusqu’à la fin de 1938, l’endroit a abrité un orphelinat catholique, ouvert après la Grande guerre. Mais la Gestapo se décide alors à mettre la main sur cette vaste demeure à l’écart de la ville. Les sœurs sont congédiées et les orphelins déplacés vers un autre pensionnat. En septembre, le Lebensborn obtient un bail de 99 ans, pour y établir un foyer de 55 places. Puis, à la fin de 1943, à la suite d’une restructuration complète, Taunus se dote d’une maternité dernier cri avec de confortables chambres individuelles pour les mères. Quand les réfugiés « français » et « belges » s’y installent, c’est un établissement modèle. Il y a 22 infirmières sur place, plus qu’à Steinhöring. Au moins 300 enfants y verront le jour en un an et demi – sans compter les femmes qui viendront y accoucher, durant les derniers mois de la guerre, après la destruction de l’hôpital de Wiesbaden. Le directeur est le capitaine SS Robert Düecker, un « spécialiste de la race », qui a auparavant dirigé le foyer de Bad Polzin, en Poméranie. Là, il a pu superviser la germanisation d’enfants polonais enlevés dans les territoires annexés. À Taunus , le petit personnel est docile : un détachement de prisonnières du camp de concentration pour femmes de Ravensbrück – à 650 kilomètres de là – est dévolu aux plus lourdes tâches. Pour les malheureuses, cette affectation, même temporaire, est un privilège. Ici, on ne meurt pas de faim.
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