Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
définitive. Elle en informe les services de recherche de Bad Arolsen dans une longue lettre de trois pages, datée du 30 mars 2000 :
« J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre courrier, avec beaucoup de tristesse. […] Ma première réaction sera de vous dire bravo : je vous considère d’une efficacité exemplaire, digne des plus grands éloges, surtout partant du peu d’éléments dont vous disposiez au départ. […] Mais, venons-en aux raisons de mes propos actuels : ma sœur connaît mes recherches au sujet de ses origines, mais est loin de se douter du tour qu’elles ont pris avec un débouché sur l’opération Lebensborn . Je vous avoue franchement que je ne lui en parlerai jamais. Étant religieuse, je n’ose pas penser aux conséquences que cela pourrait apporter à ses convictions, à la vie vouée à Dieu qu’elle mène. Ne croyez-vous pas que cela a de quoi bouleverser celle de bien des gens ? Ne serait-ce que la mienne lorsque je pense au rôle que ma mère a pu jouer… Mais j’ai un mari, des enfants et petits-enfants à qui me raccrocher et qui me permettent de porter ce poids seule 2 et de consoler mes sentiments envers ma sœur grâce à mon secret. Ce que je voulais vous demander, c’est s’il vous est possible d’annoter le dossier de nos écrits d’une mention telle que : “Ne jamais correspondre de cette affaire avec une autre personne que Martine Brantet, épouse X” […]. Merci à vous, merci à tous ceux qui ont œuvré sous vos directives et vos ordres. »
Cette lettre sobre et déchirante m’a appris une chose importante : je n’aurai jamais dû avoir connaissance de toute cette histoire. Mais, à Bad Arolsen, quand on m’avait communiqué le dossier d’Annick Brantet, parmi beaucoup d’autres, la demande de confidentialité absolue émanant de sa sœur avait été oubliée. J’avais ainsi pu retrouver l’adresse de cette dernière. C’est cette même garantie d’anonymat que Roger m’a ensuite demandé de respecter, conformément aux vœux de son épouse décédée.
Nous en étions arrivés là, avec Roger, en cette journée de juillet où il me relatait en détail les retrouvailles de Martine et Annick. Deux sœurs, l’une retirée à ses parents en 1941, l’autre abandonnée à l’organisation L, devenue bien plus tard religieuse dans un couvent, très loin de la France. L’après-midi touchait à sa fin. Roger m’a proposé de rester à dîner. J’avais prévu de dormir à l’hôtel, dans les environs, avant de rentrer à Paris. J’ai accepté l’invitation. Roger a extirpé un album de photos de la pile de documents entassés sur la table de sa salle à manger. À l’intérieur, sommeillaient des images en noir et blanc retraçant les grands moments de la vie de Martine et Annick. Collée dans l’album, une photo prise à Lourdes, à la fin de 1963, au moment où Annick s’apprête à quitter la France. La jeune femme a déjà prononcé ses vœux, elle porte l’habit de religieuse. Elle a 20 ans. Le 18 décembre suivant, Annick prendra le bateau. Sur la page voisine de l’album, comme un reflet de la première photo, un autre cliché, quasiment identique. Il montre une novice, vêtue d’une blouse grise et d’un voile. Mais ce n’est pas Annick.
« Qui est-ce ? ai-je demandé à Roger.
— C’est Séverine, la sœur d’adoption d’Annick. En fait, la famille Pailleron a recueilli deux fillettes à l’Assistance publique de Commercy, en 1947.
— Et elles sont devenues religieuses toutes les deux… C’est incroyable…
— Elles sont dans le même couvent. La seule différence entre elles, c’est qu’Annick a le droit de sortir : elle est sœur tourière, elle s’occupe de tous les produits qui franchissent la porte. Par contre, Séverine est cloîtrée. C’est elle qui est partie la première, en 1962. Un an avant Annick. »
J’ai pris l’album pour comparer les deux photos. Sous celle représentant Séverine, en habit religieux, une légende, écrite au stylo : « Séverine Semenkova, le jour de son départ, mars 1962. »
Sidérant. Séverine Semenkova. Je connaissais ce nom : il figurait, comme celui d’Annick, sur la liste des 17 enfants rapatriés en train d’Allemagne vers Commercy, en 1946… Roger n’était pas au courant de ce détail plus que troublant. Pour lui, c’était une anecdote. Pour moi, c’était une énigme supplémentaire dans l’odyssée collective vécue
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