Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
auparavant. Malgré les certitudes accumulées, Martine s’en remet au jugement de la mère supérieure quant au bien fondé de sa démarche. Faut-il troubler la quiétude de sœur Annick, en lui révélant que l’une de ses sœurs a retrouvé sa trace ? Faut-il lui apprendre qu’elle est issue d’une famille de « réprouvés » ? La réponse lui parvient deux semaines plus tard. La mère supérieure du couvent écrit : « Faut-il vous dire que je fus très émue en lisant votre lettre, j’ai vraiment pleuré… Tant de larmes, tant de détresse, mais aussi tant de joie se trouvent latentes sous vos lignes ! À vous lire, il est facile de suivre le fil qui fait la trame de cette histoire de famille, si bien que, pour ma part, je ne doute pas de vos liens fraternels avec sœur Annick. […] Vous avez des faits si probants pour qu’aucun doute ne soit permis ! Dans son enfance, votre sœur eut plus de chance que vous, chère madame. Elle n’a guère senti les rigueurs de la DDASS : là encore, Dieu a tout mené, quand madame Pailleron visita cette crèche, la petite Annick, qui n’avait que deux ans, prit au passage la jupe de la dame en bafouillant “Maman !” Il aurait fallu un autre cœur que celui de madame Pailleron pour résister au geste de cette bambine aux yeux bleus ! […] Comme je vous l’ai dit, sœur Annick n’est pas au courant de notre correspondance, par contre je tiens au courant sa chère maman 1 , car il me semble qu’elle doit être la première avertie de cette affaire. Au cas où vous seriez désireuse de la contacter, voici son adresse : […] Après tant de démarches, je pense qu’une dernière chose peut aider à identifier “votre” petite sœur, c’est la photo. Dans une plaquette éditée pour un anniversaire du monastère, je vous glisse la photo de notre groupe. Sœur Annick est la troisième à gauche, lui trouvez-vous un air de famille ? […] Si vous le permettez, je ne lui annoncerai cette grande nouvelle que le dimanche ou le lundi de Pâques, dans une longue conversation que nous aurons ensemble. Cela l’aidera à absorber cette joie merveilleuse qu’elle découvrira tout à coup : celle d’avoir une grande sœur qui l’aime et dont elle se sentira très proche. Ce sera sa joie de Pâques et la vôtre aussi, chère madame ! Il vous restera une chose à faire… Madame Pailleron va venir ici tout le mois de mai… Pourquoi vous ne viendriez pas aussi, avec votre mari, s’il a des vacances ! Ce serait un si beau voyage et moi je serais si heureuse que vos “retrouvailles” se fassent au monastère. »
Au mois de mai 1986, Martine a fait le voyage pour rencontrer sa sœur, sœur Annick. Les deux femmes tombent dans les bras l’une de l’autre. Quelques mois plus tard, à Noël, la religieuse lui retourne sa visite, dans le Midi. Elle en profite également pour faire un crochet dans l’est de la France. Là, elle fait la connaissance de deux autres de ses cinq frères et sœurs. « Après cela, elle n’a plus cherché à en savoir davantage sur sa famille », explique aujourd’hui Roger, le mari de Martine.
Le 13 mars 1995, sœur Annick écrit au service international de la Croix-Rouge, à Bad Arolsen. Dans ce courrier, elle déclare céder à sa sœur Martine « les pleins pouvoirs en ce qui concerne les recherches de [ses] origines ». À partir de ce moment-là, la religieuse n’entendra plus jamais parler des tribulations de ses parents durant la guerre. De son point de vue, elle en sait assez. Surtout, elle ne peut imaginer la part d’ombre qui subsiste, en particulier celle entourant sa propre naissance. L’histoire n’est pas close, pourtant.
Cinq années plus tard, en mars 2000, Martine, désormais unique délégataire des recherches entamées près de 40 années plus tôt, reçoit une lettre de la Croix-Rouge. Elle apprend ce qui suit au sujet de sa sœur : « Annick Brantet est née le 24 mai 1943 au home Lebensborn de Wégimont (Belgique), de parents inconnus. Elle a séjourné après le 3 avril 1945 au home Lebensborn de Steinhöring, en est partie le 17 août 1945 pour Indersdorf, puis a été rapatriée en France en 1946. » C’est donc uniquement en mars 2000 que Martine comprend que sa sœur, confiée à l’Assistance publique après la guerre, est née dans une maternité SS, où l’on pouponnait de parfaits petits aryens. Ébranlée par cette nouvelle révélation, Martine prend une décision
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