Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
d’autres bambins, ils sont tous deux arrivés par un train venant d’Allemagne, en 1946.
Ce jour de mai, il faisait un temps splendide. La campagne des Côtes de Meuse explosait de couleurs et de lumière. J’avais pris deux jours de disponibilité pour faire le déplacement depuis Paris. Je profitais de cette sensation unique, grisante : celle d’être en reportage, seul maître à bord de la petite voiture de location que j’avais réservée à côté de la gare de Commercy. J’ai retrouvé Walter Beausert chez lui, dans son chalet de Nançois-le-Grand. Nous nous sommes installés, comme la première fois, dans la salle de séjour, à l’étage. Devant un café, je lui détaillais l’avancée de mes recherches, mes déplacements, les pistes encore à creuser. J’annonçais avoir identifié dans les archives – voire même retrouvé –, six ou sept personnes présentes sur la fameuse liste des 17 enfants. Je guettais ses commentaires. Walter m’a alors expliqué qu’il avait effectué des recherches identiques, des années auparavant. En dehors de Gisèle Niango et de Georges (Hans Georg), il avait retrouvé la trace d’Armand P. et d’Irène (Ingrid) de Fouw, de Dominique (Songard) B., d’Alfred L. et de Valentine T… Il avait aussi localisé au moins deux autres enfants rapatriés par le même train que lui, en octobre 1946.
J’étais estomaqué. Par l’ampleur de ses recherches, mais aussi parce qu’il n’en avait pas soufflé un mot lors de notre rencontre, l’année précédente. Peut-être avait-il voulu me laisser venir, voir jusqu’où je progresserais dans ce labyrinthe d’identités falsifiées, d’archives tronquées et de croix gammées ? Peut-être, tout simplement, ne lui avais-je pas posé de questions suffisamment précises sur ces autres enfants, sur ce qu’ils étaient devenus ? Je n’en étais plus certain. Monsieur Beausert m’a ensuite livré des informations qu’il avait pu récolter à Soumagne, la commune où se trouve le château de Wégimont. Il avait compilé des noms d’enfants nés, comme lui, à la maternité Ardennen , de militaires et de civils belges employés sur place. En marge de ces listes, se trouvaient des annotations de sa main. La plupart du temps, se trouvait la mention : DCD. Il y avait aussi les adresses de ces personnes en Belgique, à l’époque de la guerre. Des éléments difficilement exploitables. D’ailleurs, Walter y avait renoncé.
J’ai profité d’une pause pour lui demander de revenir sur un sujet qui m’avait fortement intrigué durant ma première visite. Posée tout en haut de la commode, dans la salle de séjour de monsieur Beausert, trône une petite menorah , le chandelier juif à sept branches. Je lui avais demandé la raison de la présence de cet objet. Walter m’avait expliqué s’être rapproché du judaïsme depuis une quinzaine d’années. Une fois par mois, il se rendait à la synagogue de Nancy, à une heure de route, en compagnie de sa femme. Mais, depuis le décès de Nadine, l’année précédente, il avait espacé ces déplacements rituels. Lors de ma première visite, j’avais considéré sa démarche comme un pied de nez, plus ou moins conscient, à la folie criminelle des nazis. Walter, l’enfant volé par les SS, avait embrassé la religion de ceux qu’ils avaient voulu exterminer. Or, quand j’ai de nouveau abordé la question, ce beau jour de mai 2010, Walter Beausert m’a raconté la chose suivante :
— Entre l’âge de 5 ans et 13 ans, j’ai été placé chez une femme veuve, madame Lemasson, à Loxéville, un petit village, à 5 kilomètres d’ici. Cette dame avait une fille et un garçon, mais elle me traitait comme quelqu’un de la famille. Je l’appelais « Grand-mère ». À l’école, il y avait cet instituteur qui me traitait de « sale Boche » ou de « Fritz », parce que j’étais blond. Le curé, lui, était gentil. Mais, moi, le jeudi, je n’allais pas au catéchisme. J’attendais mes petits copains derrière l’église, pour jouer avec eux à la sortie du caté. Vous savez comment sont les enfants : on s’amusait à faire pipi contre le mur, pour voir qui allait le plus loin ! Moi, je n’avais pas le même zizi… »
— Vous êtes circoncis ? l’ai-je interrompu.
— Rita, ma mère, était juive. Mon père était Allemand. Mais ma mère…
J’étais sidéré. Je l’étais d’autant plus que, en réalité, je l’avais su
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