Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
parents.
De Bruxelles, Gisèle avait ramené une soixantaine de documents photocopiés. La plupart proviennent des archives du bureau des étrangers de la police. Les E., en tant qu’émigrés hongrois, étaient évidemment fichés. On trouve aussi des attestations médicales, des demandes d’aide sociale ou des formulaires d’état civil. Déchiffrer l’ensemble, c’est effectuer une plongée dans le quotidien turbide des années d’occupation : dénuement, suspicion, débrouille, travail obligatoire, collaboration, en l’occurrence horizontale… On découvre les rapports sommaires d’agents de bureau indifférents, les mesquineries de chefs de service autoritaires et xénophobes… Une ou deux fois seulement, un commentaire indulgent. Entre les lignes, on devine les enquêtes policières bâclées, totalement contradictoires au gré des années, nourries par des témoins anonymes. On ressent surtout un désespoir intense.
C’est là cependant que Gisèle découvre que sa mère biologique, c’était Marguerite, la sœur cadette d’Ella. Un rapport judiciaire permet de l’affirmer. Et, en replaçant dans l’ordre toutes les informations brutes que recèle le « dossier E. », l’enchaînement des événements se dessine peu à peu.
Marguerite E. est une jolie jeune femme, instable, manifestement en grande souffrance psychologique. Employée comme dactylo, elle vit chez ses parents, rue de la Senne, dans le centre de Bruxelles. Elle s’enfuit une première fois du « toit paternel », en décembre 1939. Elle a 18 ans. Le signalement émis par la police la décrit ainsi : « Taille : 1,60 m, cheveux et sourcils blonds, front moyen, bouche moyenne, menton rond, yeux gris, nez moyen, visage ovale, chapeau et manteau bleus, soulier bruns ou noirs. » L’année suivante, de septembre à octobre 1940, elle séjourne un mois en psychiatrie, dans un établissement de Saint-Josse-ten-Noode, l’une des communes du grand Bruxelles. En avril 1941, à Anvers, elle s’échappe de l’annexe psychiatrique de l’hôpital Stuyvenberg avant d’y être ramenée de force. Ce mois d’avril, son père décède, à l’âge de 46 ans. Marguerite, 20 ans, est encore mineure. À la même période, sa sœur aînée, « Ella », 23 ans, se met à fréquenter Albert Starck, agent de la Gestapo de Bruxelles. Elle aurait d’ailleurs travaillé un temps au siège de la Gestapo, avenue Louise. En mars 1942, « Ella » accouchera d’une petite fille. Par la suite, son « amant » – comme le mentionne un rapport judiciaire – sera envoyé sur le front de l’Est. Selon un autre récit familial, Albert Starck était affecté à la caserne Dossin à Malines, à une vingtaine de kilomètres au nord de Bruxelles. Une remarque, essentielle : à partir de la fin du mois de juillet 1942, la caserne Dossin devient le camp de transit pour les juifs de Belgique avant leur déportation. L’antichambre des camps de la mort. Entre juillet 1942 et juillet 1944, 24 000 juifs et un millier de Tziganes sont embarqués dans des trains pour Auschwitz. La caserne de Malines est gardée par une soixantaine de SS, allemands bien sûr, mais aussi flamands.
Est-ce le hasard ou s’agit-il d’une logique féroce ? À quelques mois d’écart, Marguerite va suivre sensiblement la même voie que sa sœur aînée… Elle fait la connaissance d’un Allemand. Appartenait-il à la SS, à la Gestapo comme Stark ? Pendant combien de temps sont-ils restés ensemble ? Nous ne le savons pas. Ce que nous savons en revanche, c’est que Marguerite, comme sa mère d’ailleurs, a travaillé pour l’industrie de guerre allemande, de juin 1942 à février 1943. En tant que travailleuse volontaire, elle est employée comme couturière en France, à Moussey (Mulsach, en allemand) une petite commune de Moselle. Là, les usines de chaussures de la marque Bata ont été réquisitionnées pour fabriquer des uniformes de la Luftwaffe, l’armée de l’air. Comme tous les autres travailleurs, Marguerite est logée à Bataville , une sorte de cité industrielle « idéale », établie dans les années 1930, entre étangs et forêts. Mais, le 24 février 1943, la jeune femme abandonne brutalement son poste, sans autorisation. Sa mère, Margit, qui travaille au même endroit qu’elle, est interrogée par les autorités allemandes. Elle affirme que Marguerite est rentrée à Bruxelles. La direction de l’usine réclame des
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