Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
immédiatement, dès le premier jour, au moment même où j’avais vu la menorah, sur la commode. Je ne l’avais pas compris : je l’avais su. Seulement, je n’avais pas osé poser la question, de peur de commettre une maladresse.
Rita P., la jeune fille belge qui avait eu deux enfants avec Hans Rudolf L., caporal de la Wehrmacht, était d’une famille juive. Elle vivait chez ses parents à Soumagne-Bas. Elle n’était pas pratiquante. Mais, peu après sa naissance, en juin 1943, Walter avait été circoncis, comme son frère aîné Rudolf avant lui. Leur père, Hans, était-il au courant ? Impossible de le dire. Hans L. avait été par la suite envoyé sur le front de l’Est. À la fin de l’année 1943, Rita, elle, avait été réquisitionnée, comme d’autres jeunes femmes des environs, pour travailler au château de Wégimont. Peut-être justement parce qu’elle avait eu une liaison avec le soldat allemand. À partir de ce moment-là, Rita emmena chaque jour Walter avec elle à la maternité du Lebensborn . Elle le plaçait dans un couffin, posé à côté d’elle. Rudolf, lui, restait chez ses grands-parents. Par la suite, Rita logea au château, avec le petit Walter. Elle partageait une chambre avec sa collègue Marie B.
Le 1 er septembre 1944, quand les SS décidèrent d’évacuer la nursery, tous les enfants présents furent embarqués. Walter comme les autres. « Ma mère a couru derrière le camion qui nous emportait. Je n’étais pas destiné à être dans un Lebensborn … » résume doucement Walter.
Pendant sept mois, de septembre 1944 à avril 1945, les SS trimballèrent une vingtaine d’enfants, toujours plus loin en Allemagne. Parmi eux, un petit garçon circoncis. Que pensaient les infirmières Nationales-socialistes quand elles changeaient ses couches ? « Elles devaient se dire que j’avais été opéré pour une raison médicale. Je venais de Wégimont, il n’y avait pas de questions à se poser… » poursuit Walter Beausert.
Le 3 avril 1945, les sbires de Heinrich Himmler accueillirent 70 nouveaux petits aryens dans la maison-mère de la « race supérieure nordique ». Ils ne pouvaient pas imaginer que ce petit blond, là, blessé à l’œil, était un enfant juif.
XV
La porte des runes
Une semaine avant Noël 2010, j’avais reçu un mail venant de Berlin. Il m’était adressé par Marie-Cecilie Zipperling, avec qui j’étais en contact depuis le début de mes recherches. Elle travaille à la Wehrmachtauskunftstelle für Kriegerverluste und Kriegsgefangene (WAst), c’est-à-dire le « bureau d’information de la Wehrmacht sur les disparus et les prisonniers de guerre ». Les états de service de tous les hommes ayant servi dans l’armée allemande sont théoriquement conservés dans leurs archives. Une énorme mine d’informations.
Marie-Cecilie Zipperling, parfaitement francophone, fait également partie de l’Association nationale des enfants de la guerre (ANEG), dont le but est de permettre à des personnes, nées à l’époque de parents franco-allemands, de retrouver leurs origines. Grâce à sa parfaite connaissance des archives et des rouages administratifs des deux pays, madame Zipperling est devenue un interlocuteur quasiment obligatoire pour toute personne recherchant un parent allemand. À plusieurs reprises, elle m’avait communiqué, par téléphone ou par mail, des informations – dans le respect garanti de la vie privée, précisons-le – sur certains pères d’enfants nés dans le cadre des « Fontaines de vie ». Son nouveau courrier électronique disait ceci : « Vous recevrez très probablement un mail de madame Iris Apé. Elle-même est à la recherche de sa demi-sœur (enfant du Lebensborn ) et elle est prête à vous raconter son histoire. Elle doit aussi prochainement rencontrer un monsieur à Munich qui lui a déjà donné quelques informations sur le foyer de Steinhöring. Bref, j’espère que cela peut-être intéressant pour vous. Cordialement. »
C’est ainsi que, un mois plus tard, j’ai fait la connaissance d’Iris Apé, en Bavière. Nous avions tout d’abord échangé quelques courriers électroniques, puis nous nous étions parlé au téléphone. Iris m’avait expliqué sa démarche. Deux ans plus tôt, en avril 2009, elle avait découvert l’existence d’une demi-sœur. Pendant la guerre, son père, officier dans la SS, avait eu une petite fille avec une jeune femme française. Werner
Weitere Kostenlose Bücher