L'Église de Satan
J’ai dit : arrachez-lui les ongles. Et qu’il nous
crache son secret ! Bien peu de gens en ont eu vent : je sais qu’il
est un des leurs. Alors qu’il en soit ainsi, jusqu’à ce qu’il me révèle la
vérité. Telle est la justice du Seigneur, conclut-il en élevant de nouveau son
gant de velours, comme il le faisait lors des bénédictions dominicales.
Jean céda après le troisième ongle. Il s’était
évanoui par deux fois.
Aguilah lui redressa le menton :
— Alors ? Où est votre trésor ?
Jean souffla un mot inaudible.
— Comment ? Je n’entends pas.
Jean répéta.
Tout à coup, le visage d’Aguilah s’éclaira.
Il recula et tourna sur lui-même, écartant les
bras, son sceptre à la main, en riant.
Puis il dit :
— Ainsi, j’avais raison. Merci, Jean de
Montréal ! Vous me prouvez ce que je pense depuis longtemps. Plus rien ne
nous retient à présent : il faut en finir coûte que coûte.
Puis il se détourna et, lentement, se dirigea
vers les marches qui le ramenaient vers la lumière.
— Que fais-je de lui ? demanda le
bourreau.
Aguilah dit d’une voix dédaigneuse :
— Tuez-le.
Chatiste ! Fornicateur sacrilège ! criait encore la voix dans sa tête, exultante.
Aguilah ne fut pas mécontent d’échapper à
l’obscurité de la crypte. Non loin, son attelage l’attendait. Les yeux tournés
vers le ciel bleu, il huma cet air frais qui provenait des massifs montagneux, et
laissa quelques instants le soleil réchauffer son front. Un office l’attendait
avant la tombée de la nuit ; il devait s’y préparer. Auparavant, il irait
faire quérir la fillette d’Alazaïs de Bugarach. Cette enfant serait son chef-d’œuvre.
Il assurerait le salut de son âme. Laissez venir à moi les petits enfants !
La mission d’Aguilah en cette terre approchait
de son terme, et cette idée le transportait.
Il sourit, satisfait, et gagna son attelage.
Bientôt, il n’aurait plus à courir, à passer
de ville en ville. Un seul endroit méritait désormais d’être pris d’assaut, un
endroit qui n’avait cessé de résister aux forces conjointes du pape et du roi
de France.
— Montségur, dit-il pour lui-même. Ainsi,
c’est là que tu es.
Et la justice de Dieu, enfin, suivrait
son cours. Jean de Montréal, quant à lui, fut écorché vif et traîné par un
cheval dans toute la ville.
13
La dernière quête ________________________
Lettre de Philippe Poussin à Antoine Desclaibes
Paris, le 28 août 2000.
« Antoine,
Me voici, grâce à toi, sur la piste de l’énigme
la plus incroyable qu’il m’ait été donné de résoudre. Je me sens marcher sur
les traces des archéologues qui, avant moi, tentèrent de percer à jour les
secrets de Montségur et des cathares, Caussou, Arnaud, Toussaint Chaubet, l’abbé
Durand, Jean Tricoire ! Fous qu’ils étaient, sans parler des amateurs qui
n’ont cessé de piller les sites de la façon la plus anarchique ! Fou que
je suis, de m’être lancé dans cette opération, sur la simple foi de ton
document, cette carte à la rose, rose des vents !
La conservatrice du Centre d’études cathares m’a
rendu visite à Montségur. Nous avons longuement parlé du château lui-même. Montségur I :
les couches les plus profondes. Quartzite moustérien, paléolithique moyen, homme
de Néandertal. 40 000 avant Jésus-Christ. Néolithique récent, argile de
décalcification, logée dans les failles de la roche naturelle, témoignant d’une
occupation humaine dès 3000 avant Jésus-Christ, traces de silex, de broyeurs, de
percuteurs, de racloirs. Occupation romaine diffuse, insuffisante pour en tirer
des conclusions raisonnables ; Montségur pré-médiéval, si pauvre lui aussi,
happé à tout jamais par les mystères de l’évolution naturelle. Montségur II,
Montségur cathare, sans cesse détruit et rebâti… Soudain, j’ai parlé de toi à
cette femme qui se trouvait à mes côtés, au sommet du pech. Pas de ce
que tu penses avoir découvert, mon cher Antoine, ni du manuscrit, ni de la
carte. Simplement de notre inspiration commune.
La bataille a été longue.
Je l’ai gagnée.
Les municipalités, les instituts et les
historiens de la région se sont joints à moi.
Nous sommes arrivés avec nos pelles, nos
pioches, nos marteaux, nos burins, nos calques, nos bâches et nos carbones, nos
banderoles et nos pieux ; à l’heure où je te parle, une soixantaine de
personnes sont disséminées dans cette
Weitere Kostenlose Bücher