L'Église de Satan
petite grotte du Sabarthès dont le troubadour
et son encre énigmatique ont signalé la présence.
Nous travaillons sans relâche.
J’entends le bruit de nos instruments contre
la pierre ; celui du souffle des derniers cathares de Montségur ; celui
de nos gens, debout, assis, accroupis, agenouillés sur tout ce que cette grotte
pourra nous révéler ; bruit des pinceaux sur la poussière, des lampes de
poche qui passent de main en main. La grotte doit faire une centaine de mètres
carrés ; sa voûte est encombrée de stalactites qui pendent comme les
calicots d’une fête funèbre ; elle est humide et sombre, c’est une gorge
amère, prête à vomir ce passé qui nous obsède, une bouche ouverte sur l’inconnu.
Nous nous sommes jetés à l’intérieur sans d’autres repères, ni autres
instructions que de chercher le secret qu’elle recèle.
Je trouverai.
Philippe. »
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Le secret de Montségur ________________________ 1243-1244
« Que l’ennemi affûte son épée, qu’il bande
son arc et l’apprête, c’est pour lui qu’il apprête les
engins de mort et fait de ses flèches des brandons ;
le voici en travail de malice, il a conçu la peine,
il enfante le mécompte… »
Psaume VII, Prière du juste persécuté.
Escartille, Héloïse et Aimery marchaient
d’un pas pressé dans les rues de la cité toulousaine.
C’était l’heure du crépuscule, un jour après le
martyre d’Aude. Les tours du palais comtal, les bâtisses de la ville, le
clocher des églises étendaient leurs ombres sur les pavés.
Le matin même, Escartille et ses deux
compagnons étaient passés non loin d’un vaste cimetière, auprès des remparts. Ils
avaient été témoins d’une scène qu’ils avaient encore peine à croire : un
prêtre, entouré de fossoyeurs, exhumait des cadavres. En robe blanche, il
faisait tantôt des signes de croix, tantôt d’amples gestes censés jeter l’anathème
sur les corps à moitié décomposés qu’il ordonnait de sortir de terre. Les
hommes qui l’accompagnaient donnaient des coups de pelle, retournaient les
tombes, faisaient tomber les croix. Le prêtre, une bible à la main, se juchait
sur les monticules en poursuivant son terrible office, jetant çà et là des
coups d’encensoir ou d’eau bénite ; deux enfants de chœur l’assistaient
dans cette tâche.
Un moine, lui aussi éberlué par ce spectacle, se
signait, les mains tremblantes. C’était à lui qu’Aimery avait demandé :
— Mais… que font-ils ?
Le moine, sans doute l’un des frères
dominicains, s’était tourné vers lui. Il roulait des yeux affolés, ronds comme
des billes, qui lui auraient donné un air comique si ce n’était le pathétique
de la situation.
— Ils déterrent des cadavres d’hérétiques,
qui n’ont pas droit à une sépulture chrétienne. Ils les excommunient.
— Ces hérétiques n’ont-ils pas été jugés
avant leur mise en terre ?
Ici, le moine avait fait la grimace. Le front
soucieux, les traits déformés de honte, il avait dit :
— C’est que… Ils étaient déjà morts, vous
comprenez, et enterrés par leurs familles. Leur procès a eu lieu de façon… posthume.
— Vous voulez dire qu’ils déterrent des
cadavres pour les juger, après leur mort ?
Puis il s’était tourné vers le prêtre qui
continuait ses grands gestes.
Aimery avait entendu le moine murmurer :
Dieu Tout-Puissant, je me demande si c’est
moi qui suis fou, ou si Votre monde ne se met pas tout à coup à marcher sur la
tête.
Un peu plus loin, des hommes traînaient par
les rues des ossements humains, sur des claies, au son des trompes. Depuis un
tabouret, un crieur public citait un à un les noms des défunts. Il était vêtu
de linge blanc et d’un grand manteau rouge, un chapeau sur la tête. Les bras
écartés, il pivotait tantôt à droite, tantôt à gauche, d’une façon presque
mécanique. Chacune de ses interventions était ponctuée d’un avertissement :
« Qui atal fera, atal perira ! » : qui ainsi fera, ainsi
périra ! Aimery, écœuré au-delà du possible, avait posé fugitivement
la main sur le bras du moine ; ils s’étaient regardés, puis le jeune homme
était retourné auprès d’Héloïse et de son père. Quelque temps après, le moine, quant
à lui, était allé vomir, une main contre les remparts, cassé en deux, étreignant
son crucifix avec désespoir. Il se frappait le front contre la paroi
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