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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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le sommeil, le jeune homme se rendit sur la grand-place, parmi les
ombres qui peuplaient ses pensées. L’endroit était presque désert ; les
villageois profitaient encore d’une nuit tranquille, qui serait peut-être la
dernière. Escartille devinait, dans les maisons, des silhouettes agenouillées à
la lueur des bougies. Çà et là, on priait, dans un silence qui n’était que le
prélude au grand tumulte. Le troubadour regarda le ciel, au-dessus de lui. Des
myriades d’étoiles dansaient, comme les perles d’un voile diaphane. Tout à ses
souvenirs, Escartille se plaisait à penser que ce voile était celui de la dame
de ses rêves ; celui de Loba, légère et pleine de promesses, dont
le drapé se déroulait sous la voûte céleste, s’étirait comme un sourire, d’un
bout à l’autre de l’univers… Escartille s’assit sur le rebord d’une fontaine, jouant
doucement de son rebec, fredonnant à voix basse l’une des complaintes qu’il
avait composées pour elle, à Puivert. Il s’imaginait de nouveau avec elle, allongé
sous un arbre, tandis qu’elle lui caressait le front de son éventail… De temps
en temps, il relevait son archet, ses yeux se tournaient vers les portes de la
ville. Il lui aurait suffi de quelques bonds pour s’échapper, de quelques
pièces pour soudoyer les soldats, et les portes se seraient entrebâillées
devant lui. Aimery dans les bras, il se serait élancé dans la nuit ; il
aurait accompli son premier dessein, qui était de gagner Toulouse ou de
rejoindre la cour d’Aragon. L’Espagne ! L’Espagne aux mille cathédrales, l’Espagne
aux deux rassurants, aux villes éclatantes de blancheur, aux balcons semés de
roses flamboyantes – et Louve, peut-être ! Tandis que le troubadour
regardait ces portes, elles lui semblaient soudain immenses. Sur les remparts, les
guetteurs allaient et venaient, une torche à la main, leur profil se découpant
contre la nuit, à moitié éclairés par les flammes. Non loin d’Escartille, des
restes de légumes vendus au marché le matin même jonchaient le sol ; un
chien famélique passa près de lui, remuant les ordures de sa truffe. Le
troubadour sursauta en entendant passer un homme ivre qui s’accrochait aux
pierres des maisons pour brandir son outre de vin, avant d’adresser au ciel des
exclamations étranglées.
    Leurs ombres s’allongeaient sur les murs, sur
les pavés.
    Pouvait-il partir, partir ainsi sans se
retourner ? Tout essayer pour passer entre les rangs ennemis et quitter l’Occitanie ?
Ses doigts quittèrent le rebec. Il se leva. Il ferma les yeux, s’imagina sur un
cheval lancé au galop, au-delà même de l’Espagne, vers le soleil de l’Orient… Il
s’approcha de ces portes qui le narguaient. Elles semblèrent doubler encore de
dimension. Il entendit ses propres pas résonner sur le pavé… Il resta les bras
ballants.
    Ils étaient là, dehors.
    Cinquante mille hommes.
    Il reprit le chemin de l’auberge.
    Elle était encore ouverte ; on y riait, on
y braillait auprès de l’âtre, entre les tables de bois. Robert, accoudé à son
comptoir, servait du vin dans des brocs que l’on frappait les uns contre les
autres. Les éclats de voix et les conversations enflammées servaient sans doute
à exorciser l’angoisse de la bataille imminente.
    — Qu’ils viennent, ces croisés que la
terre nous envoie ! Balhatz-nos la bénédiction de Dieu ! Ils
verront qui nous sommes ! Et lorsque les fanions de Trencavel apparaîtront
sur la plaine, ils seront pris à revers, ils prieront le Seigneur de les
épargner ! Sers-moi, l’aubergiste, sers-moi encore, et buvons !
    Ils rotaient, posaient leurs brocs dans des
bruits sourds. Dans un coin, un vieil homme, les yeux perdus dans son verre de
vin, se parlait à lui-même dans une langue inconnue. Le visage creusé de rides,
il portait une barbe de patriarche. Escartille ne tarda pas à comprendre ;
c’était un marchand juif qui, comme d’autres, avait refusé de quitter les lieux.
La tristesse se lisait sur son visage ; il se balançait d’avant en arrière,
tendant de temps à autre ses mains décharnées vers le ciel. Il était seul. Le
chagrin désabusé qui se peignait sur son visage émut profondément le troubadour.
Il se rendit dans l’arrière-salle, pour y trouver son enfant qui, malgré toute
cette agitation, s’était endormi.
    Escartille le contempla de longues minutes, sans
pouvoir le quitter des yeux.
    L’enfant était là,

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