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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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plus
vigoureux qu’à l’ordinaire et se pencha par-dessus la muraille, Charles et deux
autres soldats avec lui. Ils se trouvaient juste au-dessus d’une pente escarpée,
dominée par un vieux pont de pierre.
    Ce que vit le troubadour lui arracha un cri de
stupéfaction.
    Un groupe de bourgeois imprudents venait de se
précipiter au-dehors par l’une des portes de la ville, armés de bâtons, de
frondes et d’épées, portant haut de grands pennons de toile blanche. Ils
huaient l’ennemi et songeaient sans doute à l’intimider. En cette partie de la
ville, le front adverse était assez dégarni et le gros des troupes campait à
bonne distance ; les bourgeois intrépides hurlaient leurs défis dérisoires
en dévalant la pente et en courant sur le pont. C’était encore l’une de ces
escarmouches coutumières avant les grandes batailles ; il arrivait que les
adversaires s’agacent ainsi mutuellement, pour se chauffer en attendant des
hostilités plus sérieuses. Cette fois, pourtant, l’algarade n’avait pas été
concertée. Elle prit très vite un tour inattendu.
    — Mais que font-ils ? demanda le
troubadour à l’archer qui se tenait à ses côtés. Ils sont fous !
    L’archer ne répondit pas, mais se sépara du
jeune homme et cria à l’adresse des autres membres de sa troupe, disséminés
auprès de la tour :
    —  Qui ? Qui a donné cet ordre ?
    — Mais… personne ! répondit l’un d’eux,
écartant les bras.
    Charles rangea ses dés, sa fronde et sa gourde
d’armagnac. Il se redressa.
    — Les capitouls ne gardent pas les portes,
en bas ? Par Dieu, qui les a laissés passer !
    Entre-temps, un chevalier ennemi, qui passait
par là, avait dégainé l’épée et s’était avancé sur le pont, seul, pour répondre
aux injures de la bande qui lui faisait face. Derrière lui, à une centaine de
mètres, une troupe de routiers fut parcourue d’un mouvement d’agitation. Un
homme sortit d’une tente pour voir ce qui se tramait. Les poings sur les
hanches, il contempla la parade à laquelle se livrait le croisé, ainsi que l’ardeur
de ces lurons qui s’étaient permis de quitter l’enceinte protectrice de la
ville pour venir les provoquer, lançant à tort et à travers leurs bordées d’injures.
    Il était bien loin d’Escartille, et pourtant
le troubadour devina sans mal de qui il s’agissait.
    Le mercenaire avait le visage couvert d’une
balafre qui courait en diagonale de son front jusqu’à son menton. Un orgelet
purulent ornait l’un de ses yeux. Ses traits étaient durs sous son visage
couvert de crasse. Par-dessus ses guenilles, il portait une cotte de mailles, sans
doute prélevée sur la dépouille d’un seigneur quelconque, lors de ses pillages
innombrables. Un médaillon d’or pendait autour de son cou. C’était lui, le bras
armé de la terreur, le chef de ces routiers tant redoutés qui avaient coutume
de remplir leurs bourses par tous les crimes, les viols et les incendies
imaginables, ravageant les champs et les villages ! C’était lui, le roi
des ribauds, maître d’une armée chaotique, une armée d’assassins qui avait fait
cause commune avec l’Église dans l’espoir de nouveaux butins ! Il était
difficile d’imaginer quelle terreur pouvait inspirer cet homme ; il se
tenait dressé au-devant de ses spadassins sans foi ni loi, et son œil encore
valide prenait rapidement la mesure de la situation. Lui que l’on connaissait
écumant les campagnes, il était là avec les siens, sa cupidité de tous les
instants rencontrant aujourd’hui la volonté de l’Église. Les intérêts de Rome
rejoignaient ainsi ceux du plus cruel des bandits, ils s’épousaient en une même
cause, et là n’était pas le moindre des paradoxes. Le légat de Cîteaux se
prévalait de forces qui bafouaient les saints préceptes qu’il était censé
défendre ; il utilisait ceux-là mêmes qu’il lui aurait fallu combattre.
    La petite troupe s’était jetée sur le croisé trop
téméraire. En quelques secondes, elle le lapida. Le croisé s’effondra en
crachant le sang ; on se saisit de sa dépouille avant de la faire basculer
par-dessus le pont. Elle flotta sur l’eau de l’Orb quelques instants, puis
sombra.
    Escartille sentit sa terreur redoubler. Ce n’était
plus là son angoisse habituelle, ni sa couardise de bon aloi ; ce n’était
plus cette sorte d’appréhension aimable que disputaient en lui les parfums de l’aventure.
Non, cette fois,

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