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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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épisodes ; cela
ne datait pas de si longtemps, et Escartille, pourtant, se représentait ces
moments arrachés à la vie, comme les fleurs d’un jardin disparu. Il en souriait.
Il aurait aimé la revoir, la jolie Aurore, pour se faire pardonner ses
débordements empressés. Oui, elle aussi – qu’était-elle devenue, dans tout cela ?
    Le comte Raymond, quant à lui, était sorti de
son mutisme après quelques couplets. Dans le silence, il recommençait à se
confier au troubadour. La chose était curieuse : voyait-il en Escartille
une oreille si complice, qu’il se décidât ainsi à s’épancher sans méfiance, malgré
une rencontre à ce point récente ? À cela, pourtant, le troubadour avait
plusieurs réponses. Outre la curiosité et la compassion pour son neveu, Raymond
trouvait sans doute matière à apprécier Escartille pour d’autres motifs. Devant
les siens, il ne pouvait plus faire état de la moindre faiblesse ; devant
l’ennemi ou les étrangers, encore moins. Escartille ne faisait partie ni des
uns, ni des autres. Il était seulement l’une des figures de son peuple que
Raymond avait croisée par hasard. Cette position dans laquelle se trouvait le
troubadour convenait sans doute au comte qui, de surcroît, avait toujours porté
attention aux hommes de chants, de lettres et de poésie.
    Dans l’après-midi, Escartille avait également
fait la connaissance du jeune Raymond VII. Car le comte avait un fils, conçu
autrefois avec Jeanne d’Angleterre. Raymond VII devinait déjà qu’il aurait
pour tâche, un jour, de reprendre le flambeau de la défense occitane. Il
pensait qu’il lui faudrait de la patience ; que la guerre durerait, des
années peut-être. Escartille avait pu déceler dans les traits du jeune homme la
même noblesse que celle de Trencavel, tempérée par cette gentillesse tranquille
qu’arborait souvent son père. Un agneau qui apprenait à devenir loup. Grand, brun,
les joues creuses, il avait dans le regard une lueur à la fois douce et fière. Il
n’attendait que de conduire le bras de la chevalerie occitane. Il portait au
comte un dévouement sans bornes et était prêt à lui obéir en tout. Oui, il
aurait sans doute les mêmes qualités et les mêmes défauts que son père. Le
courage, l’intelligence, l’esprit de liberté. Mais aussi ce scrupule à
massacrer – qui, en temps de guerre, était dangereux. Ce soir-là, le jeune
Raymond était parti à la rencontre du roi d’Aragon, qui était attendu pour le
lendemain, dans la matinée.
    Lorsqu’il eut fini de jouer et de chanter
pour le comte, Escartille se renfonça dans sa chaise.
    Raymond ne le regardait pas ; ses yeux
étaient perdus dans le vide lorsqu’il se mit à parler :
    — L’Occitanie… Pourquoi nous battons-nous,
mon ami ? Eh bien, pour elle. L’Occitanie, ses vallées larges et fertiles,
l’opulence de ses terres, la gracieuse étendue de ses prairies, le délicieux
agrément de ses bois, la fertilité de ses vignes, la douceur de l’air et la
pureté des eaux… L’Occitanie au pied des collines et des roches vives, l’Occitanie
et ses donjons, ses châteaux par-dessus les rivières, l’Occitanie et ses
montagnes balayées par les vents ou brûlées par le soleil… Que serons-nous dans
mille ans ? Se souviendra-t-on encore de nous ?… Et qu’étions-nous, il
y a mille ans ? Voilà, troubadour, ce qu’il me faut défendre. Comme tout
cela est étrange : nous vibrons pour le présent, pour les cœurs de ces
gens que nous aimons et que nous devons défendre ; poussés dans nos
retranchements, nous donnerions nos vies pour assurer la préservation de nos
convictions et de notre foi ; mais sitôt que notre quête d’absolu devient
le motif de notre action, c’est lui-même qui semble nous dénier le droit de
persévérer. C’est donc que nos amis ont raison ! Dieu a quitté la terre, Escartille,
crois-moi.
    Il grimaça, en une expression presque pathétique,
déconfite, incongrue pour une personne telle que lui, et répéta :
    — Dieu a quitté la terre.
    Il eut une inspiration, puis continua :
    — Si le monde est l’œuvre du Diable, notre
cause est juste. S’il est l’œuvre du Dieu catholique, c’est Lui qui est injuste.
Mais s’il n’y a pas de solution… Si le nihil l’emporte sur tout… Nous ne
sommes que des hommes, Escartille. À tout prendre, cette cause-là ne doit-elle
pas être défendue ? Pourra-t-on nous damner d’y avoir cru ? Oui, il

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