L'Église de Satan
expiration dansèrent un
instant dans l’air froid. Il rajusta sa cape sur ses épaules et surveilla l’arrivée
des cavaliers. Enfin, ceux-ci s’arrêtèrent devant lui. L’un des chevaux se
cabra, soulevant de la neige avec ses sabots. Le cavalier de tête portait une
cape bleue par-dessus la croix. Il ne descendit pas de sa monture, mais tendit
au comte un nouveau rouleau de parchemin. Raymond ne le prit pas et rétorqua :
— Vous me faites attendre ici en plein
vent, et vous espérez, peut-être, que je vais docilement souscrire aux
conditions de la charte élaborée par vos légats, après l’avoir lue moi-même… Lisez-la
bien haut, messire, que nous puissions tous l’entendre !
Le cavalier hésita une seconde. Il regarda ses
compagnons, haussa un sourcil, puis céda. Il déroula le parchemin, s’éclaircit
la gorge et commença sa lecture. La charte ordonnait au comte de chasser les
routiers, de livrer les juifs et les hérétiques, comme toutes les chartes
précédentes ; mais elle allait, cette fois, beaucoup plus loin. Il était
désormais interdit au comte et à ses chevaliers de manger plus de deux sortes
de viande ; ils ne devaient plus se vêtir d’étoffes de prix, mais seulement
de grossières capes brunes ; et le florilège ne s’arrêtait pas là.
— Le comte de Toulouse devra également
abattre les murs de ses châteaux et de ses forteresses. Ses barons ne
résideront plus en ville, mais à la campagne, parmi les vilains. Si les croisés
du Christ les attaquent, ils ne devront leur opposer aucune résistance. Le sire
comte lui-même devra gagner la Terre Sainte, où il demeurera le temps qu’il
nous plaira…
Durant le temps que dura cette litanie, Raymond
resta impassible ; il n’eut, tout au plus, qu’un léger frémissement. Escartille
avait reculé de quelques pas, encadré des soldats. Lorsque l’émissaire des
légats eut achevé sa lecture, le comte laissa planer un instant de silence, puis
s’avança et lui ôta la charte des mains. Il commença d’abord d’un ton
tranquille, mais sous lequel on sentait déjà percer la plus grande des fureurs :
— Voilà qui mérite d’être amélioré, par
le Père Tout-Puissant !…
Et il éclata soudain, rugissant, brandissant
la charte devant lui.
— C’est donc à ces commandements que les
légats me mandent d’obéir ! Eh bien, par tous les saints, je vais la lire
souvent, croyez-le bien ! Je vais à Toulouse avec cette charte dans les
mains, et elle sera lue partout ! Chevaliers, bourgeois et prêtres n’en
rateront pas une ligne, assurez-en vos maîtres ! Oui, ces clauses indignes
seront placardées partout où se trouve âme qui vive, dans nos cités, dans nos
villages, sur les portes de nos chaumières !
Le cavalier s’agita sur son destrier :
— Si vous refusez ces conditions, les
domaines qui vous restent seront livrés au premier occupant ! Votre
excommunication sera confirmée ! La rupture des négociations vous sera
entièrement imputée !
Cette fois, le comte bondit en avant ; il
saisit le cavalier par la cape avec une telle vigueur qu’il faillit en tomber
de cheval. Ses doigts s’étaient refermés sur le tissu au point de le faire
craquer. Il hurla :
— ANATZ ! Vous direz aux
légats, mon ami, que je vous renvoie avec le plus profond mépris !
Il fut bientôt à cheval à son tour. Ses
barons prirent place à ses côtés.
— Allons à Toulouse.
Et Escartille, qui remontait péniblement sur
sa monture :
— Accepterez-vous, sire comte, que je me
joigne à vous ?
Déjà, la troupe partait. Raymond se retourna.
— Tu me diras les dernières paroles de
mon neveu.
Lorsqu’ils franchirent les murailles de
la cité toulousaine, sous les vivats de la foule, il sembla à Escartille qu’un
peu de cette gloire retombait sur lui. Raymond n’avait pas tardé à lui
signifier sa confiance, et plus encore : il avait redonné vie à cet espoir
qui ne cessait de fuir le troubadour depuis qu’il était parti de Puivert. Escartille
ne pouvait plus, désormais, rester étranger à toute cette guerre ; sa tête
était chargée de souvenirs et, à chevaucher ainsi tout près de l’homme sur qui
reposaient maintenant les dernières chances occitanes, il se sentait pénétré d’émotions
nouvelles, investi d’un rôle qui le surprenait lui-même – tout simplement parce
que, pour la première fois, il commençait à se sentir acteur de ce drame dans
lequel il avait
Weitere Kostenlose Bücher