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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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d’abord été plongé malgré lui. Oui, entre la triste mémoire du
massacre de Béziers et la brève rencontre qu’il avait faite du jeune Trencavel,
il entrevoyait à présent les raisons supérieures qui poussaient tous ces hommes
à se défendre. Et voici qu’il se sentait soudain, sans pouvoir encore l’expliquer,
dépositaire à son tour d’une parcelle de cette cruelle responsabilité. Il était
paradoxal que ce sentiment survienne dans un moment où il se trouvait plus que
jamais dépossédé de tout – mais n’était-ce pas justement parce qu’il était dans
cette situation que son point de vue s’en trouvait changé ? Oui, il
prenait à son tour un peu de hauteur ; il discernait les enjeux de ces
batailles sans merci. Il commençait à faire le deuil de sa volonté éperdue de
fuite, comme s’il renonçait à une illusion, une illusion de plus. À voir les
seigneurs qui les rejoignaient un à un, il avait la sensation d’être lié avec
eux par une étrange communauté de destin, dont la ville comtale devenait
soudain le centre, l’orgueil des naufragés ; seigneurs autrefois grands, barons
puissants dépouillés de leurs terres et de leurs biens, fuyards que l’on
appelait désormais les faidits, chevaliers sans terre et sans autre
patrie que celle qu’ils se choisissaient maintenant, en pleine conscience des
risques qu’il leur faudrait affronter.
    Toulouse avait accueilli des cohortes de
parfaits et de parfaites en robes noires ; on les voyait au milieu de la
population, glisser parmi les croyants. Les donjons du palais se dressaient
dans le soleil, les cloches sonnaient à la volée. Sans doute, l’évêque
catholique devait-il déjà attendre Raymond de pied ferme pour lui faire ses
remontrances. Pour l’heure, Raymond chevauchait avec les consuls de la ville et
le lieutenant de Scala ; tous discutaient de l’arrivée imminente de
Pierre II. À mesure que s’enchaînaient les épisodes de sa vie, Escartille
regardait ces cathares assemblés sous le ciel toulousain d’un œil différent. Alors
qu’il circulait au milieu des fleurs lancées depuis les balcons, il ne pouvait
s’empêcher de se laisser pénétrer d’interrogations nouvelles. Les cathares… C’était
cet homme vêtu aux couleurs de la nuit qui souriait sur son passage ; cette
jeune parfaite qui laissait échapper des larmes ; cette femme encore, qui
portait un enfant dans ses bras, et lui rappelait furieusement la défunte Églantine ;
ces marchands, ces bourgeois qui se sentaient prêts à affronter de nouveau des
orages interminables. Ici et là, à l’imitation des barons, Escartille se
baissait, tendait une main pour toucher celles de ces inconnus. Deus chantas
est ; qui manet in charitate in Deo manet. Un seul mot, emprunté aux Écritures,
était la clé de voûte de leur édifice : la charité. Voilà ce qui
apparaissait aujourd’hui à Escartille. Les cathares tentaient de revenir à la
source de cette métaphore : le pain de la Cène, celui qu’on lui offrait
ici et là, n’était autre que ce pain supersubstantiel de l’oraison dominicale
que professaient les cathares – il n’y avait de pain que la charité elle-même, contre
l’hostie des eucharisties catholiques, devenue pour eux l’élément d’un rituel
absurde et inique, d’un alibi aux pires des renoncements. Cette vertu
surnaturelle offrait aux croyants d’aimer sans cesse au-delà d’eux-mêmes, pour
s’élever vers Dieu. Elle différait du pur esprit ; elle était infiniment
supérieure à l’ordre de la matière, cette matière toujours changeante, charriée
par le fleuve du temps. Tandis que le troubadour avançait à la suite du comte
de Toulouse, le temps, lui, semblait suspendu ; il n’était plus que chaos,
vaine éternité du Mal. Et pour l’heure, il n’y avait d’autre vérité que celle
de ces mains tendues. Autour d’Escartille, les croyants cathares s’agenouillaient
auprès des parfaits : ils faisaient leur melhorament, leur
adoration liturgique en signe de déférence pour ceux qui avaient choisi de
mener une vie tendue vers la perfection ; ils avaient, chaque mois, leur aparhelament, devant l’évêque cathare ou l’un de ses coadjuteurs : ils
se confessaient et se disposaient à nouveau à une stricte observance de leur
idéal. Qu’y avait-il de plus beau que cette confiance sereine, réitérée comme
un acte de foi, en dépit de tout ? Qu’y avait-il de plus beau que ces
instants où,

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