L’élixir du diable
n’était qu’une diversion. Ils devaient l’avoir suivi à partir de là-bas. Il était pourtant attentif aux filatures – c’était devenu machinal. Il comprit soudain qu’ils devaient avoir tracé sa voiture. Bien sûr. Quelqu’un s’était glissé sous le véhicule et y avait fixé un traqueur. Non, ils n’avaient même pas besoin de cela. Il suffisait de coller un téléphone portable sur sa voiture et de le tracer.
Mais pourquoi lui ?
Reilly.
C’est à Reilly qu’ils en voulaient. Ils avaient prévu de poser un traqueur sur sa voiture, mais ils n’avaient pas pu, car ils étaient arrivés ensemble, dans la voiture de Villaverde.
Ce qui avait signé son arrêt de mort. Il n’avait aucun doute là-dessus.
En cet instant, il se dit qu’il était bien de ne pas avoir d’enfants. Ni même une maîtresse.
Il essaya d’arracher les morceaux d’adhésif, n’y parvint pas. Les bras en croix et les jambes écartées, il était comme un insecte collé sur un papier tue-mouches.
Il y avait autre chose. Il avait la tête lourde. Il se sentait lourd… et lent. Comme si ses réflexes s’étaient émoussés.
Villaverde entendit un bruit de pas. Il tendit le cou pour regarder dans cette direction. Un homme entra. Il était élégamment vêtu – chemise noire à col ouvert, pantalon gris coûteux, pieds nus dans des mocassins de cuir. Ses cheveux noirs gélifiés étaient ramenés en arrière.
Il tenait à la main un couteau court et large à lame recourbée.
Quand il se dressa devant Villaverde, celui-ci croisa son regard et eut un frisson. L’homme le fixait avec intensité, impénétrable. Ce regard semblait aussi aigu qu’un laser, mais conscient de tout ce qui l’entourait. Des yeux qui pourraient anéantir tout ce qu’ils voyaient, sans la moindre trace d’émotion.
Villaverde y lut un signe de reconnaissance subliminal, comme si l’autre lui disait : « Oui, c’est moi. » Et Villaverde sut, à coup sûr, qu’il avait Navarro en face de lui.
— Tu ne crois pas que tu vas…
— Chut…
L’homme le fit taire, deux doigts dressés devant ses lèvres.
Il leva son couteau. Lentement, il le fit glisser sur la peau nue de Villaverde. Il creusa une entaille superficielle, un grand cercle rouge sur la largeur de son torse.
Villaverde s’interdit de hurler. Il ne donnerait pas cette satisfaction au pinche madre . Navarro le contempla, le plus calmement du monde. Il se remit à lacérer la poitrine de Villaverde, traçant des lignes horizontales et verticales qui quadrillaient le cercle et formaient un dessin parfaitement symétrique. Puis il recula, admira son œuvre et essuya proprement la lame de son couteau avec un morceau d’étoffe qu’il avait sorti de sa poche.
Villaverde eut l’impression que la douleur lui faisait perdre connaissance. Il ne put s’empêcher de regarder sa poitrine déchirée. Son torse n’était plus qu’un affreux magma de chairs sanguinolentes. Le sang coulait abondamment, imprégnait son pantalon, gouttait de ses orteils sur le plancher verni du gymnase. Mais la lame du couteau n’avait touché aucune artère, aucun organe.
Il ne comprenait pas pourquoi Navarro le torturait avant même d’avoir pris la peine de l’interroger. Villaverde s’était toujours demandé comment il réagirait en pareille situation. Il savait qu’il ne dirait rien, quelle que soit la douleur qu’on lui infligerait. Il mourrait de toute façon, il n’y avait aucun doute là-dessus. Mais il existait plusieurs façons de vivre ses derniers instants. Il avait beaucoup trop mal pour se mettre en colère, et il était inutile de se défouler en hurlant. Il avait tout de même quelque chose à dire. L’honneur l’exigeait.
— Quoi que tu cherches, tu sais parfaitement que tu finiras comme les autres, hein ? Tôt ou tard, si nous ne t’arrêtons pas, c’est un de tes collègues narcos qui le fera, et tu finiras comme tout le monde, transformé en bouffe pour chiens.
Navarro inclina la tête, avec un sourire sans joie. Il sortit de sa poche une bourse de cuir dont il dénoua le lacet. Il tint la bourse en l’air, presque avec respect, et murmura quelques mots dans une langue que Villaverde ne comprenait pas. Puis il regarda fixement son prisonnier.
— Libère ton esprit, et prends du bon temps.
Il plongea la main dans la bourse. Villaverde vit, sur sa paume, une fine poussière grise ressemblant à des cendres humaines. Navarro s’avança tout près de lui,
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