L'empereur des rois
ligne de front. Madrid est là, dans un creux de la nuit qui peu à peu se vide. Il voit surgir les toits de la ville et de ses palais. Il donne l’ordre de l’attaque pour 15 heures, puis il se retire au château de Chamartín, à une lieue et demie de la capitale.
Mais il ne peut rester ainsi loin du combat. Il préfère bivouaquer sur la ligne d’attaque.
Les troupes s’élancent à l’assaut dans la lumière laiteuse du clair de lune. Les Espagnols qui défendent le palais du Retira, l’Observatoire, la manufacture de porcelaine, la grande caserne et l’hôtel de Medina Celí sont mis en déroute.
Napoléon assiste au combat d’une hauteur, que balaient les tirs de l’artillerie espagnole. Il veut voir tomber la ville. Les portes sont prises. Il donne l’ordre d’arrêter l’attaque. C’est la troisième sommation qu’il lance aux Espagnols.
« Une attaque générale va être livrée, dit-il. Mais j’aimerais mieux la reddition de Madrid à la raison et à l’humanité plutôt qu’à la force. »
Il attend l’arrivée d’une délégation espagnole dirigée par le général Thomas de Morla, qui déclare aux aides de camp avoir besoin de toute la journée du 4 décembre pour convaincre le peuple de la nécessité d’une cessation des combats.
Il veut voir lui-même les Espagnols. Il se tient debout dans l’antichambre de sa tente, les bras croisés. Il toise les trois parlementaires. Il les écoute quelques minutes parler de la détermination du peuple, puis il les arrête d’un geste.
— Vous employez en vain le nom du peuple, dit-il. Si vous ne pouvez parvenir à le calmer, c’est parce que vous-mêmes vous l’avez excité, vous l’avez égaré par des mensonges.
Il avance d’un pas.
— Rassemblez les curés, les chefs des couvents, les alcades, les principaux propriétaires, et que d’ici à 6 heures du matin la ville se rende, ou elle aura cessé d’exister.
Il s’approche encore du général Morla.
— Vous avez massacré les malheureux prisonniers français qui étaient tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu de jours, laissé traîner et mettre à mort dans les rues deux domestiques de l’ambassadeur de Russie parce qu’ils étaient nés français.
Il a appris il y a quelques heures les conditions dans lesquelles sont retenus les prisonniers de l’armée du général Dupont, dans l’île de Cabrera.
— L’inhabileté et la lâcheté d’un général, s’écrie-t-il, avaient mis entre vos mains des troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille. Et la capitulation a été violée. Vous, monsieur Morla…, comment osez-vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Baylen ?
Il tourne le dos aux parlementaires.
— Retournez à Madrid, dit-il en écartant le rideau qui sépare la tente en deux. Je vous donne jusqu’à demain 6 heures du matin. Revenez alors, si vous n’avez à me parler du peuple que pour m’apprendre qu’il est soumis. Sinon, vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes.
Il laisse tomber le rideau.
Le dimanche 4 décembre 1808, il s’est réveillé peu avant 6 heures.
La chambre du château de Chamartín est glacée. Un brasero est installé au milieu de la pièce, qui ne comporte pas de cheminée. Le maréchal Berthier est annoncé.
Il le fait entrer. Il devine que Madrid a capitulé. Qui résiste à la force et à la détermination ?
Maintenant, il faut changer l’Espagne. Il dicte dans la nuit, qu’aucune lueur d’aube ne vient encore éclairer, le texte d’un décret.
« Madrid s’est rendue et nous en avons pris possession à midi.
« À dater de la publication du présent décret, les droits féodaux sont abolis en Espagne.
« Le tribunal de l’Inquisition est aboli, comme attentatoire à la souveraineté et à l’autorité civiles.
« À dater du 1 er janvier prochain, les barrières existant de province à province seront supprimées, les douanes seront transportées et établies aux frontières. »
Il retient Berthier. Il faudrait, lui dit-il, étendre partout le Code civil.
« Le Code civil est le code du siècle ; la tolérance y est non seulement prêchée, mais organisée. »
L’Inquisition, murmure-t-il, ces moines, ce fanatisme…
Il pense à l’officier crucifié la tête en bas.
— La tolérance, ce premier bien de l’homme, répète-t-il.
Il semble prendre conscience de la présence de Berthier. Il veut que les troupes
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