L'Enfant-Roi
trompé et que
telle n’était pas la question qui le tabustait.
— Sioac, dit-il, quand Madame sera
l’épouse de l’infant Philippe en Espagne, la pourrai-je aller voir ?
— Non, Sire, ce ne sera pas possible. Le roi de France
ne peut sortir des frontières de son royaume autrement qu’à la tête d’une
armée. Et cela est vrai aussi en sens inverse, pour l’infant Philippe et son
épouse.
— Ainsi, dit Louis au bout d’un moment, quand Madame aura franchi les Pyrénées, elle sera perdue pour moi ?
— Je le crains, Sire, sauf que vous pourrez lui écrire
et elle, vous répondre.
— Ah ! Les lettres ! Les lettres ! dit
Louis d’un air désolé en secouant les épaules.
*
* *
Belle lectrice, je n’aimerais pas que vous pensiez que les
tristesses et les châtiments qui saisissaient Louis quand il sentait par trop
la tutelle de sa mère l’aient morfondu au point de lui faire perdre
l’espièglerie de son âge. Et comme ce qui précède est un peu triste, je vais
vous en faire un conte dont j’espère qu’il vous ébaudira.
Louis fut étonné en entrant un jour dans les appartements de
la reine sa mère de la trouver au lit, fort défaite et faisant des mines à
l’infini à l’idée d’avaler une purge que lui présentait son médecin personnel
dans un gobelet d’argent : spectacle qui dut lui rappeler toutes les
fessées qu’il avait reçues sur l’ordre maternel pour avoir refusé de boire les
amères potions préparées par Héroard. Mais bien que les affres de sa mère
fussent déjà pour lui une sorte de revanche, Louis ne s’en contenta pas. Il
monta à l’assaut avec la promptitude d’un soldat. Et renversant audacieusement
les rôles, il s’avança dans la ruelle du lit en disant d’un air gaillard :
— Allons ! Madame ! Allons !
Courage ! Courage, Madame !
Tout en parlant, il s’approchait par degrés de la table de
chevet où il venait d’apercevoir des dragées et derrière son dos, en tapinois,
il faisait main basse sur elles. « Allons ! Courage, Madame !
Courage ! répétait-il, il n’est que d’ouvrir la bouche bien grande et de
jeter tout dedans ! » Et il n’arrêta ses viriles objurgations que
lorsque la reine eut bu et que ses propres poches furent pleines.
Jamais Louis n’avait tant joué avec ses petits soldats qu’en
cette fin août et bien qu’il prît soin de ne jamais nommer les ennemis, il ne
m’était pas difficile de deviner qu’il était fort occupé à gagner la guerre que
le couteau de Ravaillac avait empêché son père d’engager contre l’Espagne.
Jamais aussi il n’avait plus mal dormi. Je le sus par le docteur Héroard,
patiente victime des insomnies royales, pour la raison quêtant dans son sommeil
autant sur le qui-vive que la plus aimante des mères, il se réveillait
d’instinct chaque fois que pendant la nuit Louis ouvrait les yeux.
Le vingt-six août, il faisait au Louvre une si atroce
chaleur que si j’avais pu me présenter en chemise dans l’appartement du roi, je
l’eusse fait. Mais hélas, il n’en était pas question ! Et même sans qu’on
remuât l’orteil, tout un chacun dans son pourpoint suait interminablement et le
visage tout aussi ruisselant que les aisselles sans le pouvoir essuyer,
l’étiquette l’interdisant en présence de Sa Majesté. Celle-ci, tout aussi mal à
l’aise que nous et de surcroît fort malengroin, apprenait par cœur la petite
phrase par laquelle Elle devait répondre au duc de Pastrana, envoyé
extraordinaire du roi d’Espagne aux fins de négocier et de signer avec la Cour
de France les contrats de mariage du roi et de Madame.
— Allons, Sire ! disait Monsieur de Souvré,
de grâce ! Un effort encore ! Votre Majesté ne peut qu’Elle ne
réponde à la harangue du duc de Pastrana pour remercier le roi d’Espagne et lui
tourner à son tour un petit compliment.
— Mais je le veux bien, Monsieur de Souvré, disait
Louis, avec ce qui me parut être une docilité assez bien imitée.
— Or sus, reprenons, Sire ! Voici le texte :
« Je remercie le roi d’Espagne de sa bonne volonté. Assurez-le que je
l’honorerai toujours comme mon père, que je l’aimerai comme mon frère et que
j’userai de ses bons consens. »
— Qui a écrit ce texte. Monsieur de Souvré ? dit
Louis.
— La reine votre mère, Sire, dit Monsieur de Souvré,
sans doute conseillée par vos ministres. Voulez-vous pas répéter, Sire ?
— Je le veux
Weitere Kostenlose Bücher