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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pourpoint, il lut
d’une voix bien articulée et sans trébucher sur les mots. Ce n’était pas
merveille : il ne bégayait jamais, quand il chantait ou récitait.
     
    J’ai vu un
grenouillon
    qui aiguisait
un jonc
    pour en faire
un bâton
     
    — Eh bien, Madame, comment trouvez-vous mes vers ?
    — Sire, dit-elle en rosissant, avez-vous vraiment vu un
grenouillon aiguiser un jonc ?
    — Cela va sans dire, dit Louis sans battre un cil. Ne savez-vous
pas, de reste, que les joncs croissent autour des mares où les grenouilles
croassent ?
    — Mais, Sire, dit Madame, ce grenouillon,
qu’avait-il à faire d’un bâton ?
    — Il boitait, dit Louis.
    À cela, Madame ne répondit rien, ne sachant que
penser.
    — Monsieur de Siorac, poursuivit Louis en se tournant
vers moi et en me jetant un œil complice, qu’opinez-vous de mes vers ?
    — Ils sont fort bons, Sire.
    — Madame, avez-vous ouï ? Monsieur de Siorac
trouve mes vers fort bons. Et Monsieur de Siorac est un puits de science. Je
vous le veux présenter, Madame. Faites-lui bon accueil pour l’amour de moi.
    Je m’avançai, mis un genou à terre et Madame me
tendant sa menotte, je la baisai dévotement. Après quoi, le roi présenta à Madame Monsieur de Blainville et le même cérémonial recommença.
    — Eh bien, Madame, dit Louis, comment trouvez-vous ces
gentilshommes ?
    — Ils sont beaux, dit Madame avec élan.
    — Madame, dit Louis avec sévérité, une dame ne doit pas
dire d’un gentilhomme qu’il est beau. Tout ce que la civilité lui permet de
dire, c’est qu’il a l’air cavalier.
    — Ils ont l’air cavalier, dit Madame.
    —  C’est bien et maintenant nous allons gagner
votre petite cuisine et là je vais vous apprendre à faire une œufmeslette.
    — Et pourquoi cela, Sire ? dit Madame.
    —  Il est très utile dans la vie de savoir faire
une œufmeslette, dit le roi avec autorité. La première que j’ai faite, ce fut
en mes jeunes ans pour Madame de Guise et elle s’en est trouvée fort contente.
Madame, dit-il, baillez-moi une grande serviette pour me défendre des
éclaboussures !
    Madame ayant obéi, il noua la serviette autour de son
pourpoint comme un tablier et dit :
    — D’ores en avant, Madame, vous êtes ma gâte-sauce. Et
je vous appellerai par votre prénom. Et quant à moi, étant votre
chef-cuisinier, vous me direz « Maître Louis » et non pas
« Sire ». Vous rappellerez-vous cela ?
    — Oui, Maître Louis, dit Madame qui, se sentant
sur un terrain plus sûr que la poésie, commençait à s’amuser.
    — Élisabeth, poursuivit le roi, commandez à votre valet
d’allumer un bon feu de bois et baillez-moi trois œufs, du beurre, du sel, du
lait, une paelle à frire et un bol en cuivre.
    — En cuivre ? dit Madame.
    —  Oui-da, le cuivre est nécessaire.
    — Une paelle avec une queue, Maître Louis ?
    — Naturellement, dit le roi. Comment ferais-je sauter
l’œufmeslette dans la paelle, si elle n’avait pas de queue ?
    Madame apporta ce que Louis lui avait commandé et,
sur son ordre, noua à son tour une serviette autour de son corps de cotte. Elle
était tout affairée et regardait son aîné avec autant d’admiration que s’il
allait passer muscade.
    Louis cassa fort proprement les œufs dans le bol en cuivre,
y ajouta du sel, un peu de lait et dit :
    — Et maintenant, Élisabeth, vous allez battre les œufs.
    — Mais je ne l’ai jamais fait ! dit Madame avec
effroi.
    — C’est bien pourquoi je vous le veux enseigner, dit le
roi.
    Il lui mit une fourchette dans la menotte et sur celle-ci
refermant ses propres doigts, lui imprima un mouvement rapide et tournoyant
tandis que de son autre main, il tenait ferme le bol de cuivre.
    — Et pourquoi faut-il battre si longtemps ? dit Madame, que le peu qu’elle faisait commençait à fatiguer.
    — Pour que la meslette des œufs prenne de la
consistance.
    Et comme Madame grimaçait de l’effort qu’elle
faisait, il libéra ses doigts et poursuivit seul l’opération qu’il mena à bien
en deux temps, rebattant une deuxième fois les œufs après qu’ils eurent reposé.
Je ne doutais pas, quant à moi, qu’il ne fit les choses dans les règles, car
Louis excellait dans tous les métiers manuels, s’étant donné grand-peine pour
les acquérir.
    — Ainsi, c’est cela battre les œufs ! dit Madame qui trouvait la préparation un peu longue.
    — On dit aussi tourner un œuf, dit Louis en
posant

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