L'Enfant-Roi
la vie.
Et sur ces mots, qui n’étaient pas fort clairs, il
s’accoisa.
— Monseigneur, dis-je, pardonnez-moi, mais je n’entends
goutte à vos propos. Plaise à vous d’éclairer ma lanterne et de me dire ce
qu’il en est de ce Moysset, du procès qu’on lui fait et de ce miroir qui en fut
l’occasion.
Mais au lieu de me répondre là-dessus, Bellegarde se débonda
tout soudain, préférant se purger d’un trop-plein d’amertume, et me conta à la
fureur – ce que toute la Cour savait déjà – les méchantises de
Concini à son endroit : à peine devenu marquis et premier gentilhomme de
la Chambre, le scélérat avait tâché, avec l’aide de la régente, de lui prendre
son appartement au Louvre. Fort de son droit, Bellegarde n’avait branlé mie, ni
bougé pied, tant est que la reine avait été amenée à construire à ses frais
pour ce maraud une maison magnifique proche de la Porte de Bourbon. Qui pis
est, l’insolent turlupin avait eu le front, lors du sacre de Louis, de lui
chercher une querelle de préséance et lui, Bellegarde, duc et pair, Grand
Écuyer de France, et gouverneur de la Bourgogne, avait dû céder le pas, sur
l’ordre exprès de la reine, à ce petit marquis de merde.
— Monseigneur, pardonnez-moi, dis-je, mais ne me
parliez-vous pas d’un procès ?
À cette question, Bellegarde répondit par une autre question
sur un ton tout aussi passionné.
— Chevalier, savez-vous ce que le nonce Bentivoglio m’a
murmuré hier à l’oreille ?
— Non, Monseigneur.
— La moglie ha in mano la volontà délia regina ed il
marito lo scetto del regno [40] . À la vérité, le scandale est grand
dans l’Europe entière, et même au Vatican, de la faveur exorbitante de ces
exécrables coquins.
— Je le crois aussi, mais Monseigneur, repris-je, vous
parliez d’un procès fait à Moysset au sujet d’un miroir.
— Mais point n’importe quel miroir ! s’écria
Bellegarde. C’est toute la question. Il s’agissait d’un miroir enchanté !
— Un miroir enchanté ? répétai-je, béant. Et
Moysset, qu’a-t-il à faire à ce miroir ?
— Dieu m’est témoin, dit Bellegarde, que Moysset n’a
agi en cette occasion que pour m’obliger !
— Mais qui est ce Moysset, Monseigneur ?
— Un financier, dit Bellegarde d’une voix hachée. Un
homme excellent : il me prête pécunes sans intérêt. C’est mon ami, tout
roturier qu’il soit ! Je le dis et le répéterai encore, s’il le faut, la
tête sur le billot et le bourreau levant sa lame au-dessus de mon cou :
Moysset est mon ami !
— Mais, dis-je, quel est le rapport de Moysset avec
ledit miroir ?
— Celui-ci : voyant la grande appréhension dont je
pâtissais quant à l’ascension de cet infâme pied-plat de Concini, Moysset me
dit qu’il me mettrait des gens en mains lesquels, par le moyen d’un miroir
magique, me montreraient jusqu’où monterait encore la faveur des Concini et ce
qu’il adviendrait d’eux à la parfin.
Je n’en crus pas mes oreilles. Je savais assurément que
Bellegarde avait davantage à se glorifier dans la chair que dans la cervelle
(et d’ailleurs je l’ai assez dit) mais qu’il eût poussé si loin la crédulité me
laissait sans voix. Un miroir enchanté ! Jour de Dieu ! Cela valait
le miracle pisseux de Mariette !
— Un miroir enchanté ! dis-je à la parfin.
L’avez-vous vu, Monseigneur ?
— Jamais.
— Et sans doute ces gens-là demandaient une grosse
somme pour faire paraître l’avenir des Concini ?
— Cinquante mille écus.
— Que vous payâtes, Monseigneur ?
— Que Moysset m’avança. Mais surtout, les coquins
exigèrent de Moysset qu’il leur fit la demande de ce miroir par une lettre
signée de lui et contresignée par moi.
— Et que Moysset signa, Monseigneur, et que vous contresignâtes ?
— Oui-da !
— Ah ! Monseigneur ! m’écriai-je, levant les
bras au ciel. Quelle étrange folie c’était là ! Pouviez-vous ignorer que
toute magie, ou tout artifice supposé magique, relève du diable et tombe sous
le coup des lois et qui pis est, de l’inquisition !
— Mais je ne voyais là qu’une galantise ! dit
Bellegarde, des gouttes de sueur apparaissant sur son front et ruisselant sur
ses joues. Mais vous avez raison ! J’aurais bien dû m’aviser que ces
affreux coquins, une fois en possession de ma lettre, non seulement ne me
montreraient jamais le moindre miroir, mais iraient incontinent
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