L'Enfant-Roi
en
particulier son défunt mari, ni les enfants qu’il lui avait faits, et n’avait
jamais eu, comme j’ai dit déjà, le moindre égard pour les Grands de la Cour,
étant avec eux froide et roide. Mais elle avait – outre la Conchine –
des amies françaises, et si l’on excepte la maréchale de la Châtre, qu’elle
aimait prou, mais qu’elle voyait peu, car la dame vivait très retirée, elle
comptait autour d’elle trois fidèles que l’on peut dire véritablement ses
intimes sans exagérer le moindre : la duchesse de Guise, sa fille la
princesse de Conti, et la duchesse de Montpensier.
Ni la duchesse de Guise ni ma demi-sœur la princesse de
Conti ne pouvaient se flatter de posséder autant d’influence sur Marie de
Médicis que la Conchine. Mais la part qu’elles en détenaient n’était pas
négligeable du fait qu’elles étaient l’une et l’autre pleines d’esprit,
d’allant et d’astuce et ne quittaient guère la reine, en particulier la
princesse de Conti qui, ayant le même âge que Sa Majesté, et l’ayant pour ainsi
dire prise en mains dès le début de son règne, était devenue sa dame de
compagnie, sa secrétaire, sa lectrice et sa confidente.
La duchesse de Montpensier, pour en venir à la troisième de
ces princesses, était la petite-fille de cette vicomtesse de Joyeuse qui à
Montpellier – où mon père étudiait alors à l’École de médecine –
devint sa protectrice, et un peu plus que sa protectrice, puisqu’en l’absence
du vicomte qui s’occupait fort peu d’elle, elle s’était laissé initier par
Pierre de Siorac à ce qu’elle appelait pudiquement « l’école du
gémir ».
Sa petite-fille, la duchesse de Montpensier, ne lui
ressemblait guère, ange de vertu qu’elle était et s’y trouvant, de reste, aidée
par sa fragile santé et aussi le fait quelle vivait le plus souvent recluse en
son château de Gaillon. C’était une femme douce, aimable, effacée qui avait peu
d’influence sur la reine, mais détenait cependant sur elle un grand pouvoir,
quoique indirect, pour la raison que la reine l’avait courtisée d’entrée de jeu
d’une façon quasi extravagante pour recevoir d’elle la main de sa fille –
la plus riche héritière de France – pour son cadet Nicolas.
La reine obtint, en effet, le contrat de mariage en
1608 – l’héritière avait alors trois ans – et à la mort, hélas, trop
prévisible du pauvre Nicolas en 1611, dans la même lettre où la régente
annonçait le décès du pauvret aux tuteurs de la fillette, elle leur redemandait
aussitôt la main d’ycelle pour son troisième fils, Gaston. Je ne connais pas,
en ce règne, de plus bel exemple d’indélicatesse et de rapacité.
La reine-mère, étant si lourde et si balourde, avec si peu
de feu dans l’esprit et dans l’imaginative, avait tendance, dès qu’elle était
seule, à s’ennuyer à mourir et elle goûtait fort les saillies, les gausseries,
les verdeurs et les piquantes anecdotes de ma bonne marraine. Elle redoutait
aussi ses criantes colères auxquelles, chose étrange, elle qui avait
d’ordinaire tant de morgue, elle ne savait comment faire face, tant est que la
duchesse de Guise abusait de cette faiblesse, la reine demeurant devant elle
muette et interdite. Quelques mois plus tôt, quand son dernier fils, le
chevalier de Guise, eut tué un gentilhomme sans même lui laisser le temps de
tirer son épée, la régente ayant déclaré qu’elle allait sévir, la duchesse de
Guise se précipita chez elle comme une furie et lui chanta pouilles avec de si
grosses paroles que la marquise de Guercheville, l’interrompant, lui fit
remarquer que la reine était sa maîtresse. « Ma maîtresse ! se récria
Madame de Guise. Sachez, Madame, que je n’ai point d’autre maîtresse en ce
monde que la Vierge Marie ! » Cela montre bien à quel échelon dans
l’échelle des créatures de Dieu la duchesse de Guise, née princesse de Bourbon,
se situait…
Je me suis souvent dit que la légèreté des gens de cour
tient à ce qu’ayant l’esprit si occupé, et je dirais même si gonflé par
l’événement présent, ils ne prennent pas le temps d’en démêler la
signification, ni d’en prévoir les conséquences. En cette affaire du miroir
enchanté, le plus difficile de ma tâche fut de convaincre Madame de Guise que
le procès Moysset n’était pas tant risible que redoutable. Car, s’il était
gagné contre Moysset, Bellegarde serait
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