L'Enfant-Roi
certes, c’est un
grand avantage que ses tétins soient d’une belle couleur brune, vu que nos
chambrières paradent des décolletés qui sont du blanc le plus fade. Monsieur,
reprit-il avec le dernier sérieux, croyez-vous que si cette soirée fait de moi
un homme, je vais enfin grandir ?
— Comment l’entends-tu ?
— Grandir en taille, Monsieur.
— Mais cela se pourrait bien ! dis-je.
Et tant il m’avait ébaudi dans cet entretien je le serrai à moi
et lui donnai une forte brassée, ce qui l’émut prou, étant orphelin de père et
m’ayant, malgré mon âge, élu pour le remplacer.
Bellegarde était des amis de mon père et l’était aussi de
Bassompierre dont il avait été avec Joinville, Schomberg, d’Auvergne (de
présent serré en la Bastille) et Sommerive (assassiné en la fleur de son âge en
Italie), un des commensaux. C’étaient là les gentilshommes dont ma Toinon
m’avait dit le premier jour qu’elle était entrée dans ma vie qu’ils étaient
« si beaux et si bien faits qu’il n’était pas possible de plus ».
Mais il s’en fallait que la tête du duc de Bellegarde, comme
on vient de le voir, fut aussi bien faite que belle. Non qu’il fût plus ignare
que les gentilshommes de son rang, ayant été nourri aux armes, à la danse, à
l’équitation, et aux jeux de hasard et point du tout aux livres. Toutefois, il
les respectait sans les lire, protégeait les arts et pensionnait Monsieur de
Malherbe.
Les dames dont il était au Louvre, comme Bassompierre, le
grand favori, ne lui en demandaient pas davantage et quant à lui, il ne
séduisait les vertus légères de la Cour que par sa propre légèreté, ayant
gaîté, gentillesse, bonne humeur, audace irréfléchie et très peu de poids en
cervelle. Mais quel vertugadin eût pu résister à son œil noir si caressant, à
ses traits ciselés, à ses dents étincelantes et à la courbure de ses lèvres
sous sa fine moustache ?
La chambre bleue où nous introduisit le maggiordomo de Zamet avait, à mon sentiment, plus de faste que de beauté. J’en trouvai le
bleu froid et criard, et trop volumineuses, les colonnes torses et dorées qui
encadraient le lit et qui ne portaient pas de courtines, le lecteur entend bien
pourquoi.
Ce qu’il y avait là de plus charmant et de mieux
proportionné, quand nous y entrâmes – Bellegarde, La Barge et moi –
fut l’aimable Zohra, laquelle portait bel et bien sur la poitrine cette croix
en or qui avait pour dessein d’assurer les gentilshommes bien nés et bien
garnis qui pouvaient l’approcher que s’ils allaient dans ses bras faillir à la
morale, ils n’iraient pas du moins pécher contre la religion.
La mignote nous fit à notre entrant de gracieux salamalecs
qui mettaient en valeur les courbes de son corps juvénile, et dont la modestie
contrastait avec les friponnes œillades qu’en même temps elle nous décochait,
lesquelles nous promettaient sur terre ce paradis qui donne dans l’au-delà aux
élus de son ancienne foi, non seulement de clairs et chantants ruisseaux et de
beaux fruits toujours à la portée de la main mais, chose surprenante, des houris à la virginité sans cesse renaissante.
Je ne sais si Zohra qui, pour l’instant, embellissait de ses
charmes la chambre bleue possédait ce don miraculeux, mais à vue de nez je la
crus fort capable de transporter un honnête chrétien sur un tapis volant jusqu’au
petit Éden terrestre des plaisirs de nos sens, lequel est le seul dont nous
soyons, dans nos moments d’humilité, tout à fait assurés. Mais Bellegarde à
s’teure n’avait guère le cœur à envisager ces beautés et sans s’attarder, il
passa d’un pas rapide dans le cabinet attenant, moi-même le suivant, non sans
avoir baillé quelques tapes encourageantes sur l’épaule de La Barge, lequel
paraissait comme accablé par l’excès de son bonheur.
Le pauvre Bellegarde quand il retira son masque avait sa
belle face toute chaffourrée de chagrin et l’huis reclos sur nous, il me
remercia d’une voix étranglée d’avoir répondu à son appel, puis avec un soupir
il s’assit lourdement sur une des deux chaires qui étaient là, se saisit sur
une petite table d’un carafon de vin, emplit jusqu’au bord un gobelet de
vermeil et d’un coup le vida.
— Chevalier, me dit-il de but en blanc, si on ne trouve
pas le moyen d’arrêter le procès que les Concini font à Moysset au sujet de ce
damné miroir, je perds tout et peut-être
Weitere Kostenlose Bücher