L'Enfant-Roi
mieux (c’est-à-dire plutôt mal
que bien) une querelle de préséance qui avait surgi entre le comte (toujours
aussi escalabreux quand il s’agissait d’étiquette) et le jeune duc de Guise. Le
duc de Bouillon, dont le nom aurait dû s’épeler Brouillon tant il aimait
l’intrigue, se tenait assis en retrait et pour une fois demeurait coi, ne
voulant pas être mêlé à ce différend. Quant au petit roi, voyant à son entrant
la reine fort occupée, il resta à distance, Souvré et moi-même derrière lui.
C’est alors qu’entra d’un pas brusque dans la pièce le prince
de Condé qui, sans se génuflexer devant la reine ni se découvrir devant le roi,
alla s’asseoir, le chapeau sur la tête, à côté du duc de Bouillon lequel il
entreprit aussitôt à voix basse.
Louis ressentit très vivement l’impertinence de cette
conduite. Le protocole voulait en effet qu’un seigneur, si grand fût-il, n’eût
le droit de se couvrir et moins encore de s’asseoir en présence du roi, sans
que le roi l’en priât.
Louis se tourna vivement vers Monsieur de Souvré et lui dit
et point du tout à voix basse :
— Monsieur de Souvré, voyez ! Voyez Monsieur le
Prince ! Il est assis devant moi ! Il est insolent !
Monsieur de Souvré qui observait l’embarras de la reine,
fort entortillée dans les fils d’une querelle dont elle n’arrivait même pas à
entendre le sens, ne voulut pas ajouter à ses soucis et fit de son mieux pour
arrondir les angles et calmer son pupille.
— Sire, dit-il, sans nommer le prince, c’est qu’il
parle à Monsieur de Bouillon. Il ne vous aura pas vu.
— Eh bien, dit Louis, je vais me mettre auprès de lui
pour voir s’il se lèvera.
Tant dit, tant fait. Louis s’approcha du prince de Condé.
Rien ne se passa. Plus près encore, et enfin presque à le toucher. Le prince de
Condé ne daigna ni le voir, ni bouger son séant de sa chaire.
Louis s’en retourna alors à Monsieur de Souvré et lui dit,
blanc de colère et les dents serrées :
— Monsieur de Souvré, avez-vous pas vu ? Il ne
s’est pas levé ! Il est bien insolent !
Louis, dans le sentiment qu’il avait de sa dignité royale,
ne s’en tenait pas qu’aux apparences du respect. Le lecteur se souvient sans
doute que les épingles que j’avais données à la Conchine étaient des écus neufs
frappés à l’effigie de l’enfant-roi. Le même jour, je le vis longuement
envisager un de ces écus que Monsieur de Souvré, peut-être sur le commandement
de la reine, lui avait remis. Certes, au cours des années qui suivirent, j’ai
souvent entendu Louis se plaindre qu’on fût si chiche à lui bailler de ces
belles et brillantes pièces alors qu’à Conchine et aux Grands la régente les
donnait à profusion. Il n’en demeure pas moins qu’en ce premier jour où il
tourna et retourna en ses doigts l’écu de son règne, il sut à quoi s’en tenir
sur l’une des plus importantes de ses prérogatives royales et loin de l’oublier
jamais, il sut bien le ramentevoir aux Grands, même en ses enfances. Louis
avait la mémoire fort tenace, quand il ne s’agissait pas des conjugaisons
latines.
Il n’avait pas dix ans et était tout justement à son latin
quand le prince de Condé, accompagné du duc de Longueville, vint sans façon
interrompre sa leçon. Incontinent, Monsieur de Longueville se mit à entretenir
le roi d’une devise qu’il comptait inscrire sur une monnaie qu’il voulait
battre.
Avec patience, avec attention aussi, le petit roi écouta son
discours et quand il fut terminé, il dit tout uniment :
— Je ne veux pas que cette monnaie-là se dépense en
France.
Monsieur le Prince intervint alors et, comme on l’a déjà
deviné, son intervention ne fut pas un miracle de tact.
— Mais, Sire, dit-il, pour avoir la permission de battre
sa monnaie, Monsieur de Longueville vous baillera mille écus.
Autrement dit, Condé avait l’incrédible effronterie d’offrir
des épingles au roi ! Louis aussitôt répliqua, et fort roidement :
— Ce n’est pas à Monsieur de Longueville à me donner de
l’argent. C’est à moi de lui en bailler, s’il me plaît.
Il ne pouvait plus clairement à la fois formuler sa
rebuffade et le principe qui gouverne tout État monarchique : c’est au roi
de battre monnaie et ce privilège n’appartient qu’à lui.
*
* *
En janvier 1614 mon grand-père le baron Jean de Mespech
touchait à sa centième année et bien qu’il
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