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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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plus homme à tenir des propos lassés et
allusifs sur son proche départ, comme le font tant de vieux qui parlent sans
cesse de leur mort avec l’arrière-pensée de la conjurer, ou même comme la
Maligou, sa cadette de vingt ans, qui dix fois par jour nous répéta en cuisant
son rôt : « Mes bons Messieurs, quand vous reviendrez céans l’an
prochain, hélas ! hélas ! je ne serai plus de ce monde… »
    Le baron de Mespech pâtissait, il se peut, des atteintes de
l’âge, mais sur elles il restait coi. Il ne parlait que de ses bâtisses, de ses
plantations, de sa florissante carrière de pierres, de son moulin sur les
Beunes qui n’avait pas de concurrent de Marcuays à Sarlat, de ses tonneaux de
châtaignier réputés dans la province entière, de ses noyers, de ses truffes, de
ses porcs truffiers, de ses voisins, Monsieur de Puymartin (le catholique
prodigue) ou de Monsieur de Caumont (le huguenot pleure-pain), de son nombreux
domestique dont il connaissait les âges, les noms, ceux de leurs enfants et de
leurs petits-enfants, de ses amours enfin (sous-entendant qu’il n’avait point,
selon son expression, « dételé ») et de ses innombrables bâtards,
tous élevés au château, et tous bien dotés et pourvus.
    Mention toute particulière fut faite en ses propos de
Mademoiselle de Fonlebon qui, en 1610, soigna le vieux Monsieur de Caumont et
dont la beauté avait fait sur le baron de Mespech une ineffaçable impression.
« Et pourquoi diantre. Monsieur mon petit-fils, dit-il, ne l’avez-vous pas
épousée ? Et d’autant qu’elle est si pécunieuse qu’elle eût pu paver
d’écus d’or le sol de sa chambre à coucher ? Avez-vous jamais vu un de mes
porcs truffiers renâcler à renifler une truffe de deux livres ? – Il
la renifle, mais point ne la mange ! » dis-je en riant. Et le baron
de Mespech rit aussi, ses yeux bleus éclatant de jeunesse dans un visage tanné
et sillonné de rides. Je n’eusse pas été étonné pour ma part si j’avais appris
que le Seigneur Notre Dieu avait décidé de le faire vivre encore, comme Moïse,
vingt ans de plus « sans que sa vue baissât, ni que fût diminuée sa native
vigueur [42]  ».
     
    *
    * *
     
    La duchesse de Guise s’invita à souper au Champ Fleuri le
jour même de notre retour à Paris et de prime requit mon père de ne pas
permettre à Mariette de nous servir, « la pécore ayant une langue longue
d’une aune. Et j’ai quant à moi, ajouta-t-elle, à vous impartir des nouvelles
qui demandent silence et secret. » Et pourquoi diantre il y fallait tant
de mystère, alors que ces mêmes nouvelles, comme on s’en aperçut le lendemain,
couraient la ville et la Cour ? – il est vrai sans les
extraordinaires précisions qu’y apporta ma bonne marraine.
    — Franz, dit-elle, oubliant qu’un jour elle avait
demandé son renvoi pour crime de discrétion, Franz fera l’affaire pour nous
servir, étant muet comme tombe. Jour de ma vie ! poursuivit-elle (se
donnant au passage pour le troisième personnage du royaume), je ne sais où nous
allons, la régente, le roi et moi. Au train où les choses s’acheminent, la
régence tombe en quenouille, Louis perd son sceptre et que je le dise enfin,
vermoulussure et pourriture se mettent si avant dans le royaume que ses racines
mêmes se corrompent.
    — Holà ! Holà ! dit mon père, mais c’est
l’Apocalypse ! Vous allez dans l’excès, Madame ! En est-on vraiment
rendu là ? Et quels sont donc les vers de cette vermoulussure ?
    — Les Grands, dit la duchesse de Guise. Rien que les
Grands ! À l’exception, Dieu merci, de mon fils Guise et d’Épernon qui
demeurent en la Cour, ils nous ont tous quittés ! Un à un ! Le
mensonge à la bouche et la menace à l’œil ! À commencer par ce bâtard de
Condé !
    — Ah ! Madame ! dit mon père, parler ainsi du
premier prince du sang !
    — Mais c’est la vérité nue et crue ! dit la duchesse,
très à la fureur, vu que sa mère, La Trémouille, quand elle le conçut,
coqueliquait avec son page, par la main duquel elle empoisonna son mari à son
retour de voyage, craignant qu’il ne se posât questions sur sa commençante
grossesse.
    — Un tribunal l’a innocentée, Madame, dit La Surie.
    — Mais c’était un tribunal huguenot ! Cela ne
compte pas ! De reste, poursuivit-elle en voyant mon père sourciller, il
n’est que de regarder le nez de Condé…
    — Eh bien, Madame, son nez ? dit mon

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