L'Enfant-Roi
Villeroy, le président Jeannin et moi.
Ce « moi » fut dit comme si Madame de Guise était
vice-reine de France.
— Vous, Madame ? m’écriai-je.
— Moi ! dit Madame de Guise en posant ses deux
mains à plat de chaque côté de son assiette. N’est-ce pas mon devoir,
reprit-elle en haussant haut le bec, de tout faire pour que le duc de Guise
reçoive de la régente le commandement des armées ? Et ne pensez-vous pas
qu’il serait temps – Monsieur de Montmorency étant si vieil et si mal
allant – que je rêve pour mon fils de la connétablie ?…
Sans que ses lèvres bougeassent le moindrement du monde, un
sourire fit briller les prunelles de mon père et les pattes d’oie au coin de
ses yeux se plissèrent. Après quoi, il y eut un silence et un échange de
regards discrets se fit entre lui, La Surie et moi. Bien qu’elle décriât haut
et fort ces Grands dont elle faisait partie, ma bonne marraine ne raisonnait
pas autrement qu’eux. Une chose à tout le moins était claire : la
« bonne Française », en cette affaire, défendait moins le royaume de
France que la maison de Guise.
CHAPITRE IX
Si Condé rêvait d’être à la régente ce que le duc de
Guise – je n’entends pas le petit duc sans nez, mais l’assassiné de
Blois – avait été à Henri III, c’est-à-dire le prince d’une rébellion
soutenue par une majorité de Français, il exagérait démesurément ses mérites et
sa situation.
Guise incarnait en son temps la lutte sans merci des
catholiques contre les huguenots et comme si le Ciel lui avait su gré à
l’avance de son fanatisme, il avait fait de lui le plus bel homme de France. Le
peuple, et en particulier le peuple de Paris, reconnaissait en cette virile
beauté une marque divine. Quand le duc passait par les rues de la capitale,
vêtu de satin blanc sur son cheval immaculé, on se pressait de toutes parts
pour baiser ses bottes, et les commères frottaient leurs chapelets sur ses
puissantes cuisses afin de les sanctifier. Guise était aux yeux de tous le
Saint-Georges qui allait terrasser et percer de mille coups vengeurs le dragon
protestant.
Pas un instant Condé ne put se flatter d’une aussi fervente
amour. De prime, parce qu’il appartenait lui-même à la religion réformée, et
bien que depuis l’Édit de Nantes, le sentiment anti-protestant ait été quelque
peu assoupi, la huguenoterie de Condé le rendait suspect. Ses mœurs qui, s’il
n’avait été prince, l’eussent conduit au bûcher, répugnaient au grand nombre.
Enfant posthume, un doute subsistait sur la légitimité de son sang. Qui pis
est, il était petit, souffreteux, l’œil faux, le nez en bec d’aigle et comme
eût dit la princesse de Conti, sa laideur le rendait « irregardable ».
Ce n’est pas pourtant que Condé ne tentât de se poser devant
la nation en redresseur de torts et en réformateur des abus. Il adressa de
Mézières à la reine un manifeste en forme de lettre, qui était à la fois une
condamnation de sa régence et un acte de candidature à sa succession.
Ses griefs couvraient un vaste champ : l’Église n’était
pas assez honorée, on semait des divisions dans la Sorbonne, la noblesse était
pauvre, le peuple surchargé de taxes, les offices trop chers à l’achat, les
parlements tenus en lisière. Condé se plaignait par-dessus tout qu’on fit des
« profusions et prodigalités » des finances du roi…
Ce qui était plaisant dans ce reproche-là, c’est qu’il
visait les maréchaux d’Ancre, mais que Condé eût pu tout aussi bien se
l’adresser à lui-même, étant donné ce que lui et les Grands avaient déjà coûté
au trésor à l’avènement de la régente et allaient lui coûter derechef, si le
pouvoir, comme il y comptait bien, se décidait à racheter sa loyauté par des
sacs d’écus.
Toutefois, comme cela ne lui paraissait pas fort glorieux de
n’accorder la paix que moyennant pécunes, Condé, jetant sur son avarice le
voile du « bien public », réclamait aussi la convocation des états
généraux à seule fin de rhabiller les abus et voulait qu’on différât
jusqu’après leur clôture les mariages espagnols – dont il avait pourtant
contresigné les contrats.
Condé expédia copie de ce manifeste à tous les parlements de
France en les requérant de lui apporter leur aide. Aucun ne poussa la
condescendance jusqu’à lui répondre. Quelques-uns même renvoyèrent ces paquets
au roi sans les
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