L'Enfant-Roi
poignet
féminin. La reine le porta pour la première fois en 1607 au bal de la duchesse
de Guise, à la grande ire d’Henri IV, qui se refusa toujours d’en
acquitter le prix : ce qui explique que la reine dut l’acheter à crédit et
pendant sept ans en paya les intérêts – les intérêts seuls et non le
principal – lesquels, en sept ans, en doublèrent le prix. C’est dire avec
quel soulagement la reine se hâta de rembourser le principal, quand elle eut en
main les pécunes qu’elle avait extorquées à la Cour des Comptes sous le
prétexte de faire la guerre. Et à mon sentiment, elle le fit le cœur d’autant
plus léger qu’après avoir graissé la patte des Grands, payé les Suisses et
remboursé le prix du célèbre bijou, il lui restait encore pour ses menus
plaisirs une somme proche d’un million de livres… Ce fut là, si j’ose ainsi
parler, les « épingles » qu’elle tira d’une affaire d’État qui
menaçait l’intégrité du royaume et le laissa, de reste, fort ébranlé jusqu’à la
fin de cette funeste régence. Quant aux « épingles » que la Conchine
tira à son tour des « épingles » royales, personne ne saurait en dire
le montant, mais je gage qu’il fut élevé, la dame d’atour ne pouvant manquer de
remontrer à sa maîtresse que la combinazione qui se trouvait à l’origine
de ce pactole était issue de sa rusée cervelle.
*
* *
Au moment de poursuivre ces Mémoires, je feuillette mon Livre
de raison et j’y lis à la date du dix mars 1614 une brève note ainsi
rédigée : « Le roi donne à dîner à ses enfants. La marcassine sentimentale.
Entrevue du roi avec le président De Thou. »
Mais ce que vient faire cette marcassine entre le dîner des
enfants et le président De Thou, grand parlementaire plein d’usage et raison,
je ne sais. Et pourquoi je l’ai dite « sentimentale », moins encore.
En revanche, à y songer plus outre, et non sans quelque effort, j’en viens par
degrés à bien me ramentevoir et le dîner, et ce que déclara le président De
Thou, et la remarquable réponse que lui fit Louis. Et chose étrange, alors que
je me remémore les propos mêmes de ce bref dialogue, et même le ton sur lequel
ils furent, des deux parts, prononcés, ma mémoire, pour ainsi parler, remonte
le temps, la brume de mon partiel oubli se dissipe et tout me revient de
l’histoire de la petite marcassine, victime de ses affections.
Lesdits « enfants » n’étaient point, comme on
pourrait le penser, les trente-deux petits gentilshommes qu’on avait donnés à
Louis comme compagnons de jeu, mais son frère et ses trois sœurs. Le roi les
appelait ainsi depuis la mort d’Henri IV, se trouvant bien assuré qu’étant
l’aîné, et ayant succédé à son père sur le trône de France, il devait aussi
assumer pour son cadet et ses cadettes l’autorité et l’amour paternels.
On se souvient sans doute que le pauvre Nicolas, sur son lit
de mort, appelait Louis « mon petit Papa », terme qui était employé
concurremment à « Sire » par tous les puînés, mais avec une nuance
différente, le « Sire » étant plus cérémonieux et le « petit
Papa » marquant des rapports plus proches et plus affectionnés à
l’occasion par exemple des cadeaux que Louis leur faisait en toutes
circonstances, se montrant plus généreux avec eux que sa mère ne l’était avec
lui, et surtout, dans son souci d’équité, ne faisant jamais de présent à l’un,
sans en faire aux trois autres.
J’entrai dans les appartements du roi comme il achevait sa
repue avec « ses enfants », lesquels il avait placés autour de la
table dans un ordre qui ne changeait jamais. À sa droite, Gaston, six ans, qui
à la mort de Nicolas était devenu duc d’Orléans et qu’on appelait Monsieur, bambin
éveillé et enjoué qu’on disait être le préféré de sa mère, mais cette
« préférence » était toute relative et, en fait, ne paraissait telle
que par contraste avec la constante mauvaise grâce qu’elle montrait à son aîné.
À la gauche de Louis, Madame, onze ans et demi, la douce et pliable
Élisabeth, la sœur la plus proche de Louis par l’âge et la plus aimée, celle à
qui en ses enfances il interdisait de boire du vin, celle aussi pour laquelle
il aimait cuisiner des œufmeslettes.
De l’autre côté de la table, faisant face au roi, étaient
assises les deux petites sœurs : Chrétienne, huit ans, celle des trois
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