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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dans
ma cuisine
    Une petite
marcassine,
    Laquelle est
morte de douleur
    D’avoir perdu
son gouverneur.
     
    Après quoi, repliant le papier, Louis le remit dans son
emmanchure et jeta un regard à la ronde comme pour encourager ses enfants à lui
dire ce qu’ils en pensaient. Mais, à mon sentiment, il eut là quelque occasion
d’être déçu par leurs remarques.
    — Sire, dit Gaston, est-ce que vous mourriez de
douleur, si Monsieur de Souvré venait à passer ?
    — Monsieur de Souvré, dit Louis, est mon gouverneur,
mais il ne me nourrit pas.
    Et se tournant vers Élisabeth, il lui dit :
    — Eh bien, Madame ?
    — Ce coup-ci, dit Madame, je crois que je vais
vraiment pleurer.
    — Ne pleurez pas, Madame, dit Louis et il fit signe à
Chrétienne d’opiner.
    — Sire, dit-elle, quelle sorte de baragouin est-ce
là ?
    — Ma fille, dit Louis d’un ton quelque peu offensé, ce
n’est pas du baragouin, ce sont des vers.
    — Des vers ? dit Chrétienne. Qu’est cela ?
    Louis sentit toute la difficulté d’une telle explication et
jetant un regard circulaire dans la pièce, il m’aperçut et son visage
s’éclaira.
    — Monsieur de Siorac, dit-il, va vous le dire. C’est un
puits de science.
    — Ce sont là, dis-je, des vers rimés de huit pieds et
comme il y en a quatre, le poème est un quatrain.
    — Ah ! C’est un quatrain ! dit Louis, d’un
air étonné et content.
    — Sire, dit Madame, bien résolue à ne plus
laisser à Chrétienne le privilège de poser des questions. Qu’est-ce que des
pieds ?
    — Un pied, reprit Louis, c’est une syllabe. Et il y en
a huit dans mes vers.
    Et en comptant sur ses doigts, il récita, en détachant les
syllabes :
     
    Il-y-a-vait-dans-ma-cui-sine
     
    — Cela fait huit, comme vous voyez, dit-il avec un
triomphe modeste.
    — Ah ! Sire ! Comme vous êtes savant !
dit avec élan Madame, laquelle, je gage, quand elle fut devenue reine
d’Espagne, dut se rappeler l’heureux temps où elle disait ce qu’elle pensait.
    Ce compliment de prime saut, bien qu’il n’exaltât pas la
valeur poétique du quatrain, dut verser quelque baume dans le cœur égratigné du
poète, mais il ne le laissa pas paraître, l’accueillant avec la gravité qui
convenait à son rôle paternel.
    — Or sus, mes enfants ! dit-il en se levant, le
dîner est fini ! C’est le moment des cadeaux ! J’ai là quelques
petites besognes [44] que j’ai achetées pour vous à
Saint-Germain. Monsieur de Berlinghen, voulez-vous les apporter ?
    — Oui, Sire, dit Monsieur de Berlinghen qui n’attendait
que ce moment pour apparaître, plus chargé de présents qu’un âne de reliques.
    Au fur et à mesure qu’on dévoila les cadeaux et qu’on les
remit dans l’ordre protocolaire à Monsieur, à Madame, à
Chrétienne et à Henriette, je me fis sur eux quelques petites réflexions que je
désire, lecteur, vous dire en confidence. Deux semaines plus tôt, alarmée par
les rumeurs perfides que faisait courir le duc de Condé sur son prétendu
dessein d’empoisonner le roi, la régente décida de frapper un grand coup et,
sur les sommes immenses qu’elle venait de recevoir de la Cour des Comptes, elle
offrit à Louis, en toute solennité, des bagues de diamant d’un grand prix.
    Ces dons fastueux ne procurèrent pas à Louis le moindre
plaisir. D’abord parce qu’il n’aimait ni le luxe, ni les bijoux. Ensuite, parce
qu’il ne fut pas sans entendre les arrière-pensées qui avaient inspiré ces
cadeaux inhabituels, alors que la régente se montrait d’ordinaire si
chiche-face à son endroit.
    Cela se sentit à l’accueil qu’il fit aux bagues, tandis
qu’il ouvrait les étuis et les refermait aussitôt l’un après l’autre, tout en
répétant d’un air gêné : « Madame, vela qui est trop pour
nous ! »… Et le moment venu de remercier, il le fit d’une voix froide
et contrainte. Louis n’avait que trop bien senti le peu d’amour qu’il y avait
derrière ces dons, lesquels, en outre, reflétaient davantage les préférences de
celle qui les offrait que celles du récipiendaire.
    Héroard me dit plus tard que Louis eût aimé des bagues de
moindre valeur, mais avec des dessins ou des figures qui eussent intéressé son
imagination. « Ha ! Révérend docteur médecin, dis-je, sans même aller
jusqu’aux bagues, la régente lui eût seulement offert une belle arquebuse, il
eût été au comble de la joie ! »
    Je repensai à cette

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