L'Enfant-Roi
scène pénible et j’avais encore dans l’oreille
le « Madame, vela qui est trop pour nous ! » tandis que
je regardais le roi distribuer ses petits cadeaux aux enfants. Au vif plaisir
qui les transporta quand chacun déplia son paquet, je conclus que, même si le
tout ne valait pas quarante écus, chaque présent avait été étudié avec soin,
afin de combler les vœux du frère ou de la sœur auquel il était remis.
Chrétienne et Henriette reçurent des poupées. Elles étaient
l’une en bleu, l’autre en rose, pour qu’on pût les différencier, mais toutefois
jumelles, afin qu’il fût facile de les échanger. Leurs vêtures de cour ne
laissaient rien à désirer : vertugadins et basquines en soie véritable,
grandes collerettes derrière la nuque en vrai point de Venise, chaussures de
satin assorties aux vertugadins, authentiques cheveux humains bouffant à
l’arrière du front « à la florentine », leur mère étant fidèle à
cette mode toscane.
Le duc d’Orléans s’enrichit d’un couteau fermant de
Moustiers à deux lames avec un manche en faïence incrusté d’étoiles d’argent.
Et Madame (qui en devint rouge de bonheur), une boîte de fards en ébène
qui contenait tout ce qu’il fallait pour tuer les cœurs : rouge, noir,
céruse, mouches, que sais-je encore ! Accompagnée toutefois de l’expresse
recommandation de ne s’en servir à s’teure que pour peindre ses poupées, le
pimplochement ne convenant pas encore à ses jeunes années.
La liesse fut grande. Les enfants pépièrent des
« grands mercis » et des « mille mercis, mon petit Papa »,
se pressant autour de Louis lequel, sans rien perdre de sa gravité, donna à la
ronde brassées et poutounes qu’interrompit l’entrée de Madame de Montglat,
roide et pincée. Elle avait pour tâche de raccompagner en carrosse Monsieur et les deux petites sœurs au château de Saint-Germain-en-Laye, Madame étant
la seule des enfants de France à avoir un logement au Louvre, privilège qu’elle
devait à son âge et aussi à son importance politique, étant fiancée à l’aîné
des Infants.
Louis, demeuré seul avec elle, lui parla, lui tenant les
deux mains tendrement et Madame en profita pour quérir de lui qu’il la
vint visiter plus souvent, ce qu’il promit en la serrant à soi et en la
poutounant derechef, comme s’il lui savait gré de cette demande. Il paraissait
heureux de ce trop bref bec à bec avant l’arrivée du président De Thou. Mais en
même temps, je pouvais lire dans ses beaux yeux noirs quelque mélancolie comme
s’il anticipait déjà en sa pensée le moment où les Pyrénées le sépareraient
pour toujours de cette sœur tant chérie.
L’entrevue du roi avec le président De Thou fut courte, mais
à mon avis pleine de signification pour qui essayait comme moi de pénétrer les
sentiments que nourrissait Louis sur la révolte des Grands. Car la
surveillance – pour ne pas dire l’espionnage – dont il était l’objet
s’était resserrée autour de lui depuis la prise de Mézières, comme si la
régente eût craint – crainte véritablement insensée ! – qu’il
prît le parti des Princes contre elle. Depuis peu, on priait même Louis
d’assister au Conseil des ministres, ne fût-ce qu’en qualité de conseiller muet.
On voulait témoigner par là qu’il n’y avait pas l’ombre d’un dissentiment entre
lui et celle qui gouvernait le royaume en son nom, en même temps qu’on
remparait le pouvoir vacillant de la régente derrière la personne sacrée du
souverain donné par Dieu.
J’avais déjà vu l’illustre président De Thou, mais de loin
en des cérémonies publiques, et à le voir de plus près, tandis qu’il se
génuflexait péniblement devant le roi, je le trouvai vieil et mal allant.
D’après ce que je savais, l’illustre historien ne s’était jamais relevé du
terrible affront qu’il avait subi trois ans plus tôt quand sa candidature à la
charge de Premier Président du Parlement, laissée vacante par le départ de
Monsieur Du Harley, avait été rejetée par la régente. Après avoir consulté le pape
(mais j’ai déjà conté cet épisode), elle lui avait préféré Monsieur de Verdun,
personnage sans grands talents, mais appuyé par les jésuites.
Le président De Thou, qui était alors chef du Conseil de
Monsieur le Prince de Condé, n’était pas au bout de son amertume. La reine,
ayant appris que Monsieur de Thou disait que si Monsieur le
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