L'Enfant-Roi
le fais pour la raison qu’elle s’attachait davantage à l’accessoire qu’à
l’essentiel.
— Quel accessoire ?
— Les souliers de Monsieur de Villeroy, dont Gina
blâmait, pendant qu’il parlait, la façon et l’attache.
— Et pourquoi diantre s’y intéressait-elle ?
— Mais, Monsieur, c’est ce qu’elle voyait de lui, étant
aux pieds de la reine…
— C’est raison, dis-je en riant. Poursuis ! Et que
répondit la reine au discours sensé de Villeroy ?
— Qu’elle n’avait pas d’argent pour faire ce voyage à
Reims.
— Elle l’eût eu, si elle ne dépensait pas tant.
— Monsieur, dit La Barge avec un sourire, Dieu nous
garde de blâmer la reine, quoi qu’elle fasse !
— Poursuis.
— « Madame, dit Villeroy, il y a le Trésor de la
Bastille. – Mais, Monsieur de Villeroy, dit la reine avec un soupir, vous
savez bien que je n’y peux toucher. – En effet, Madame, répondit le
ministre, en temps de paix, vous ne le pouvez pas, mais en temps de guerre et
pour combattre la révolte des Princes, la Cour des Comptes ne vous refusera pas
un prélèvement sur les deniers de la Bastille. – C’est bien, Monsieur de
Villeroy, j’y vais songer », dit la reine, en agitant avec allégresse les
pieds dans le bassin.
— La Barge, vous inventez ce détail !
— Oui, Monsieur. J’ai trouvé qu’il faisait bien dans
mon récit.
— Tenez-vous-en aux faits, La Barge : sans cela je
décroirai le tout.
— Ah, Monsieur ! Vous ne pouvez décroire la
suite ! Elle est dans la logique des choses ! À peine Monsieur de
Villeroy avait-il pris congé de Sa Majesté que l’araignée conchinesque
descendit du plafond pour défaire la toile que Villeroy avait tissée. Mais
quand elle ouït de la bouche de la reine ces mots « le Trésor de la
Bastille », elle entra en extase. « Madame, dit la Conchine,
prélevez ! Prélevez toujours ! Quand vous aurez l’argent, il sera
toujours temps d’aviser ! – Comment cela ? » dit la reine
qui n’entendit pas de prime le subterfuge que suggérait la Conchine.
« Cela est simple, Madame, dit la Conchine. Dites que vous allez faire la
guerre, prélevez les pécunes et prélevez large, par exemple deux millions cinq
cent mille livres. Là-dessus, Madame, vous moyennez la paix en lâchant un
million aux princes et vous gardez le reste pour vous ! »
— « Pour nous » eût été plus exact, dis-je et
je m’accoisai.
La bassesse de ce plan me donnant furieusement à penser.
— Et la reine accepta ? repris-je au bout d’un
moment.
— Nenni, elle balança et eût balancé plus longtemps, si
la Conchine n’avait trouvé un argument décisif. « Madame, n’êtes-vous pas
fatiguée de payer aux orfèvres des intérêts annuels énormes pour le bracelet de
diamants que vous leur avez acheté à crédit il y a sept ans ? Ne serait-ce
pas là l’occasion unique de leur verser le principal pour vous dégager enfin de
cette dette ? – Mais, dit la reine, comment puis-je donner le change
à la Cour des Comptes sur mes intentions ? – Levez des Suisses, Madame,
dit la Conchine qu’on ne prenait pas sans vert, levez six mille Suisses !
Qui pourra croire, en vous voyant augmenter vos forces, que vous allez négocier
la paix ? »
Lecteur, je vous dois confesser que je trouvai de prime ce
récit si extravagant, et si abjecte au surplus, l’intrigue qu’il relatait que
je fus un long temps sans lui accorder créance. L’avenir, toutefois, se chargea
de le confirmer sur tant de points que je ne tardai pas à le prendre plus au
sérieux que je ne l’avais fait à l’ouïr. Ces faits et leur poids de preuves, je
les livre tout à trac à vos méditations : primo, la reine obtint
bel et bien de la Cour des Comptes le versement de deux millions et demi de
livres afin de faire la guerre aux Grands. Secundo : elle leva bel
et bien six mille Suisses, mais au lieu de courir sus aux rebelles à la tête de
ses forces armées augmentées de ce renfort, elle députa le président De Thou à
Mézières pour négocier avec les Princes un accommodement. Tertio : elle
moyenna la paix avec eux en leur versant un million de livres. Quarto : elle remboursa aux orfèvres les quatre cent cinquante mille livres qu’elle
leur devait depuis sept ans pour son bracelet de diamants.
Ce bracelet était le plus gros, le plus lourd et le plus
onéreux que j’aie pu voir de ma vie entourant et alourdissant un
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